L’idée de débuter la pièce par l’internement psychiatrique et la fin de vie de Camille Claudel, permet de prendre de plein fouet l’injustice faite à cette femme qui eut le tort de se vouloir, libre, amoureuse et artiste et qui sombrera, privée de tout, lâchée par tous, dans la déchéance absolue. C’est l’idée de l’auteur, suivie d’ailleurs par la metteuse en scène, Nele Paxinou, qui a su ressusciter par la puissance de sa théâtralité le conflit des énergies, et donner aux personnages des contours absolument poignants nimbés dans la poésie et l’humanité propres aux œuvres de Camille ! On apprécie particulièrement la présence très vivante de deux danseurs, un homme une femme qui, tout au long de la représentation, soulignent les dialogues par de précieuses chorégraphies très bien pensées. Leurs visages restent immuablement neutres mais leurs corps semblent répéter en variations mobiles toutes les émotions des comédiens. Les deux figures de sable ou de glaise, dont la nudité semble surgir de la terre, dorée par les jeux de lumière sont là pour évoquer de façon fascinante les émouvantes sculptures de l’artiste et la force de ses créations. La musique est celle d’impressionnistes français, en hommage à Debussy. Il faut bien cela pour supporter la tension du texte de François Ost, qui déroule les épisodes de la vie antérieure de la jeune femme, avant son internement infamant et permet d’exploiter tout le potentiel du rêve artistique de la jeune femme ! Face à l’amant, sculpteur prométhéen, génie du feu, et le frère, poète mystique, génie aérien, elle incarne la fertilité et l’énergie de la terre . Tandis que le texte célèbre la liberté de la Chèvre de Monsieur Seguin, celle-ci est victime d’une mort pernicieuse programmée par le génie masculin.
Et le casting ?
Irréprochable ! Une rage, « Evidemment, je lui faisais de l’ombre. Mère de son enfant, je n’étais plus la gentille-jolie élève, je devenais Madame Rodin ! La maternité, c’est pour Rose ; les cours particuliers, c’est pour Camille ; chaque chose à sa place, un temps pour tout. Surtout ne pas troubler le confort du Maître ! Ah tu ne veux pas vivre avec moi, et bien ta fille tu ne la verras jamais ! Envolée, délivrée, Galatée ! » Un génie à l’œuvre « Regarde, la roche devient luisante, elle me sourit. Elle brille comme un miroir. Et elle rend un autre son, sous les coups de ciseau. Ah, Camille Claudel, SCULPTEUR ! » Enfin, la fureur de création, tout est magnifiquement emmené et campé par la pétulante comédienne Marie Avril, dont la voix, la diction et le timbre sont un délice pour l’oreille ! Paul Claudel/ Virgile Magniette, le frère apparaît sans caricature, décapé du lustre dont il se pare, car on ne voit plus que son âme grise. Parfait ! Et Rodin, …est d’une savante justesse théâtrale. Bernard Sens.
Dominique-Hélène Lemaire