...Il donne des récitals et joue des concertos dans les plus grandes salles de concert au monde, avec les plus prestigieux orchestres. » Hier soir, la collaboration du norvégien Leif Ove Andsnes avec le Mahler Chamber Orchestra lors du concert donné au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles était du véritable or musical. Jeune et enthousiaste, Leif Ove Andsnes est en train d’éditer l’intégrale des Concertos pour piano de Beethoven dans un cycle intitulé « Le Voyage Beethoven ». L’œuvre de sa vie ? Joués au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles en novembre dernier les Concertos n° 1 et 3 sont déjà édités chez Sony, loués par la critique et récompensés par le prix Caecilia de l’Union de la presse musicale belge 2012. « La musique de Beethoven est pour moi la musique la plus humaine et la plus spirituelle qui soit. Beethoven pensait que changer le monde est possible et que la musique est vérité. Cela me touche profondément. »
Le silence qui précède les premières notes du concerto pour piano N°2 est éloquent. Le Mahler Chamber Orchestra est tout de suite envoûtant par sa présence musicale et Andsnes fascine par la façon souple et onctueuse qu’il a de diriger depuis son clavier dont il a orienté la face avant vers le public. Le couvercle s’est évidemment envolé. Il s’agit d’une vraie cérémonie musicale élégante et fluide qui fait jaillir l’harmonie du cœur de l’homme et de son instrument et vient envahir les auditeurs de bonheur. L’alternance du jeu pianistique et de la gestuelle de direction d’une délicate précision est une source ininterrompue de découvertes. On est pris dans une sorte de spirale musicale fascinante. Gestes ou clavier ? On s’empresse de ne jamais quitter l’artiste des yeux bien qu’il tourne le dos. On est suspendus dans les aller-retours passionnés entre les deux instruments : l’orchestre et le clavier. Il manie les deux, les mariant sans relâche à la manière d’un magicien. De plus, l’accord entre le pianiste et les différents pupitres a quelque chose de sacré : on ressent un réel flux musical. Leur fascination mutuelle est surprenante et engendre l’élan musical inédit qui fait vivre la musique de Beethoven.
Comment l’orchestre fait-il pour rebondir avec tant de moelleux, en ce qui semble une seule note, lorsqu’il qui semble cueillir au vol les phrases émouvantes du pianiste dans le concerto pour piano N° 4 ? Dans le premier mouvement, le pianiste a plongé tout de suite dans la romance la plus tendre puis le thème a été repris joyeusement par l’orchestre. On respire la pureté de vents, le souffle et la puissance de l’orchestre, la largeur des champs musicaux et on se fait effleurer par des chutes de pétales de fleurs légères dont on ne sait d’où elles viennent. Émotions en cascades : les cadences de l’interprète sont autant de concerts en soi. L’orchestre cloué par l’émotion ne semble pas décidé à reprendre l’archet, tant c’est intense et beau. Puis c’est la reprise de parfums voluptueux. Le pianiste joue sur les sommets de la virtuosité sans perdre la moindre plume… de cygne, tant c’est à la fois léger et palpable en même temps. On découvre des scintillements aquatiques, des miroitements et la propagation de l’onde en larges cercles autour du piano. On vit ce concert de manière presque physique. Les mains du pianiste n’arrêtent pas de jouer même lorsque le piano se tait. Leif Ove Andsnes entretient toutes les fulgurances, les violoncelles passionnés, les vents plein de caractère dans les duos de hautbois et de bassons, l’ambre des altos et les percussions triomphales. Dans le finale, c’est le triomphe de la beauté de l’émotion humaine.
Ainsi, Beethoven semble avoir pris le dessus dans le cœur des spectateurs lors de ce concert inoubliable. Mais les œuvres de Stravinsky, le Concerto "Dumbarton Oaks" pour orchestre de chambre en mi bémol majeur et le Septuor ont produit un paysage musical très évocateur. La taille de l’orchestre réduite, comme elle devait l’être dans la splendide propriété de Dumbarton Oaks (Washington DC) aux Etats-Unis en 1938 a permis de singulariser la beauté de chaque instrument, comme si tout à coup un dieu se penchait sur les musiciens qui jouent debout et les observait à la loupe ! On pense … à Jean-Sébastien Bach pour la partie fuguée. Ce concerto fut commandé par un couple de mécènes, Mildred and Robert Wood Bliss pour leur trentième anniversaire de mariage. De l’aveu même du compositeur : « c’est un petit concerto dans le style Brandebourgeois ! » qui, ruisselant de sonorités farceuses, se termine par une sorte de marche nuptiale pleine de sève musicale célébrant les bonheurs infiniment petits. Le plaisir musical et la curiosité étaient aussi bien au rendez-vous dans le Septuor aux sonorités de flammes dansantes (créé en 1954, chez les mêmes mécènes). Mais c’est Beethoven qui a ravi les auditeurs, eux qui croyaient connaitre tous ses concertos par cœur !