A l’Atelier 210, la chorégraphie du coronavirus donne une saveur particulière à cette ouverture de saison, en n’enlevant rien à la joie de retrouver une salle pleine – aux bulles de distanciation physique près – et un spectacle enthousiasmant. Pour ouvrir le bal 20/21, Jean Le Peltier nous présente Zoo, sa nouvelle création. Et quel plaisir de (re)découvrir, dans le caniculaire été indien bruxellois, la moustache et le verbe de ce touche-à-tout, à la fois auteur, metteur en scène et interprète !
Avec une économie de moyens scéniques laissant une grande part à l’imagination et à la parole, Zoo déploie, autour des Lacs Robert, au-dessus de Grenoble, les récits tissés de trois personnages inadaptés : Jean-Jean, un artiste naïf, Gioia, une lieutenant en randonnée et Grégoire, estimant de près la possibilité d’un suicide. Polyphone, Jean Le Peltier assume ces individualités dans leurs questionnements avec une sensibilité touchante, à nue. C’est le prétexte de photographie d’une chaîne humaine, projet artistico-solidaire de Jean-Jean, qui amène le développement du récit qui, volontiers, digresse dans des zig-zags de pensée et les différents niveaux narratifs. Avec Zoo, la résistance de chacun à ses propres limites autant que la relation aux intelligences numériques sont interrogées. Ainsi de la narratrice omnisciente qui, à travers les appareils numériques, espionne les existences d’autrui ; ainsi de Pedro, le robot-caillou, assistant de Jean-Jean qui s’essaie humain.
Le point de départ de Zoo, ce sont les "zooids", de mini-robots, pouvant se déplacer et assister l’homme pour des taches bénignes. Devant un de ces prototypes enrayé et ralenti, Jean Le Peltier ressent une émotion profondément humaine : l’empathie. C’est bien là le cœur du sujet et le nerf du spectacle : la création de situations de compréhension et d’empathie dans lesquelles l’artiste, en les incarnant, essaie de décortiquer ses personnages dans leurs intentions et leurs interactions. Jean-Jean, dans sa performance artistique avortée de la "naturalité », se confronte au manque de considération de ses contemporains. Gioia et son humour déroutant et pince-sans-rire s’avère vulnérable dans sa faiblesse de tout ce qui inclut des chiffres. Et Grégoire, son licenciement récent et son humanité enfouie faisant décliner les interrogations existentielles.
Sur le grand tapis gris faisant office de scène, de montagnes et de lacs, Jean Le Peltier nous entraîne dans cet exercice d’empathie, en donnant enveloppe aux fragilités. En décortiquant le "faire-semblant" du théâtre, enrobant son spectacle d’adresses assumées au public, il donne à voir, en sensibilité, la beauté de l’humain et la gouaille de la parole dans une fable profondément rassurante.
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