Souriant derrière son pupitre, un homme imposant, en habit, savoure son petit dessert. L’arrivée d’une musicienne perturbée par son triangle , puis d’un saxophoniste happé par son portable, dissipe tout malentendu. Pas de concert classique, mais un spectacle déjanté. Après avoir utilisé son archet comme épée, club de golf et raquette de tennis, un violoniste annonce solennellement : "Moi, Itamar Yaacobi, 40 ans, déclare par la présente avoir soudain pris conscience que, si je suis venu au monde, c’est pour VIVRE." Marre de cette existence tièdasse, de ces parties de dominos avec Leidental. Un ami de vingt ans, qu’il largue sans scrupules. Fasciné par le popotin rebondi de Ruth, il se persuade qu’il en est amoureux et lui fait une cour pressante. Celle-ci joue les musiciennes dans l’âme, mais désire avant tout dominer un mari. Accroché à sa valise, comme un enfant à son doudou, Leidental reste dans le sillage du couple et s’offre en ...cadeau de mariage.
La suite de l’intrigue le confirme. L’intérêt de la pièce ne réside pas dans l’originalité de l’histoire, mais dans la manière de la raconter. Remarquable funambule, Hanokh Levin fait de la corde raide entre burlesque et gravité. Dans un premier temps, ses personnages nous intriguent et nous amusent par leur fantaisie débridée. Et très vite leur sincérité provocante nous désarme. Ils commentent leurs intentions, chantent leurs états d’âme et reflètent les ambitions, les calculs, les lâchetés, les désillusions, les désarrois de l’homme qui se cogne à la vie.
"Le temps passe, et toi, tu passes à côté. Tu sens le goût amer du gâchis et des regrets, mais tu restes là et tu regardes." , constate Leidental.
Ces paroles désabusées, ces destins de plâtre n’empêchent pas la comédie de briller par sa drôlerie. L’étui d’une contrebasse se transforme en frigo, des cymbales en plateaux à thé, et la grosse caisse s’envole pour devenir une lune radieuse. Bien d’autres instruments sont détournés et un vent de folie souffle dans cette forêt de pupitres. Metteur en scène inventif, Lorent Wanson a composé douze chansons de style différent. Situées au coeur de l’action, elles prolongent efficacement les scènes jouées.
Avec la complicité malicieuse de trois "multi-instrumentistes", le trio des comédiens-chanteurs mène le spectacle tambour battant. C’est avec une cocasserie audacieuse que Delphine Bibet incarne la pulpeuse Ruth. Alain Eloy exprime énergiquement l’impétuosité et le désenchantement de Yaacobi. Par son jeu maîtrisé, Achille Ridolfi rend Leidental attachant et pathétique. Un vieil enfant paniqué à l’idée d’affronter, seul, la vie. Le destin de ces clowns tristes montre que l’existence est tapissée de courtes joies et d’échecs poignants. Cependant Hanokh Levin nous vaccine contre le désespoir par son humour cruel et tendre.
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