C’est quoi, un western ? Un divertissement de cour de récré ou la tragédie grecque adaptée à la société américaine ? La loi et l’ordre, à la Bush, pour un monde macho ? Ou sa transgression par les femmes ? Et ce genre ciné, passé par la bédé (Blueberry, la série française décalée), on en fait quoi au théâtre ? Deux passionnés du genre, Régis Duqué à l’écriture et Jérôme Nayer à la mise en scène, se sont manifestement amusés, avec leurs copains acteurs, déjà passionnés d’un théâtre « hors-les-lois » (du théâtre), à nous composer une parodie drolatique et savoureuse.
Les figures classiques sont là : un shérif sobre (ici), William Blake (tiens, tiens, le nom d’un grand peintre et poète anglais du XVIIIè siècle !), un chef de bande (rigolard) qui règne sur Bodie, un village désert (Franck), un second rôle attendrissant (M. Ripley ou « replay » ?) et deux nanas croustillantes, Lulu et Pearl. Un « espace ring » pour les joutes verbales avec d’astucieux barreaux sur la droite, qui pourront figurer une prison. Avec pour toutes menottes un pan amovible de la chemise de Franck. On va de clin d’œil en clin d’œil avec un shérif qui dégaine…des fruits (de la banane à la pomme) et soumet les nanas amoureuses de Frank à des fouilles corporelles légèrement …érotiques, avant les visites en prison. Un shérif qui lit Phèdre de Racine, retour à la tragédie grecque, via la langue française, occasion parodique de parler de la loi et du tabou de l’inceste. Ajoutez une partie d’échecs qui remplace l’affrontement à coups de flingues, des intermèdes musicaux qui rappellent, en léger décalage de genre (mais pas de pays), la comédie musicale américaine, un rôle superbe dévolu aux deux femmes, Pearl, l’instit d’une folle énergie tous terrains (Yasmine Laasal, la tornade… de rire) et Lulu, la « jeune fille », prostituée (ach, Wedekind et Berg) douce, sensible à la beauté de la langue…française (Fanny Hanciaux, le calme imperturbable face à la tempête Yasmine, très complémentaires les deux « filles »). François de St Georges compose, en Ripley, un second couteau naïf et charmant alors que le duo shérif /mauvais garçon semble avoir été écrit pour des habitués du dialogue décalé, Hervé Piron et Eno Krojanker, la désinvolture souriante de l’un (Hervé) dialoguant avec le tsunami verbal d’Eno, les mots à la place des balles de colt.
A peine quelques « excès » verbaux (en tout petit bémol) d’un texte feuilleté du 1er au 3è degré par Régis Duqué et une mise en scène simple, dynamique et juste de Jérôme Nayer qui, comme tout bon chef d’orchestre, laisse la bride sur le cou aux acteurs pour défendre un texte qu’ils s’approprient et allège la pâte par des gags visuels ou musicaux qui font mouche.
Un des très bons spectacles de l’Atelier 210, qui, décidément, cette saison, confirme son rôle moteur dans la programmation jeune et risquée.
Hors-la-loi, de Régis Duqué, à l’Atelier 210, jusqu’au 8 janvier, réveillon du 31 compris.
N.B. Le texte de Hors-la-loi, comme des centaines d’autres textes de théâtre, en Belgique, France, Afrique et Canada, est publié aux Editions Lansman.
Christian Jade
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