Une musique s’élève dans l’obscurité. Un disque orangé qui évoque un coucher de soleil en Afrique, apparaît par intermittence, éclairant des champs. A chaque apparition, le nombre d’ombres humaines à l’avant plan augmente. La lumière donne à voir une dizaine de danseurs et danseuses (et trois musiciens) disséminés sur un plateau où trône une énorme pépite dorée.
Les personnages debout pivotent imperceptiblement pour tourner leur visage vers le public. Un homme sort de terre, se lève, s’effondre, se bat ou se débat au sol. Il s’agenouille et semble implorer le ciel dans une nuée d’incantations teintées de colère. Un homme le bouscule avant de s’en prendre à d’autres personnes. Éclate une bagarre, des échauffourées sporadiques. Une femme tente de calmer le jeu mais le trublion continue à s’agiter. Tout le monde s’énerve un peu, la musique se fait plus rythmée, la tension monte avant de baisser avec le silence.
Le calme revient. Un musicien donne le tempo d’une frappe de la main sur le cœur, les autres reprennent le rythme accentué par les percussions. Tous entament une danse saccadée, parfois proche du hip-hop qui serait pratiqué par des automates. L’ambiance est à la réconciliation, à l’harmonie, au vivre (et danse) ensemble.
Mais la sérénité semble de courte durée. Un couple apparaît accompagné de deux molosses qui avancent à leurs pieds. Une femme adresse une harangue à Brigitte, évoque la matriarche. « Ils sont tous là, crie-t-elle, avec des masques, ils suffoquent. Vous allez tous mourir. » Un chaman danse. L’angoisse est palpable, la foule s’approche, s’éloigne de la pépite, l’escalade, en descend, cherche une issue. Progressivement, la tension baisse, la musique se fait plus légère, les sourires reviennent, l’heure est au soulagement.
Le chorégraphe burkinabé, installé à Bruxelles, Serge Aimé Coulibaly considère la danse comme un engagement social. Dans une œuvre dont l’inspiration est ancrée dans la culture africaine, il questionne par la danse la réalité quotidienne de l’homme mais aussi de ce qui l’entoure, espérant susciter une dynamique positive tournée vers le futur. Ainsi, « Kirina » (2018) évoquait, à travers des mythes d’origine ouest-africaine, la nécessité – l’urgence – de la migration et le « regard dédaigneux » que nous portons sur un peuple juste en quête d’avenir.
Avec « Wakatt », qui signifie « notre temps », Serge Aimé Coulibaly a choisi de traiter de la peur de l’autre devenu synonyme de menace, de la difficulté à se rencontrer, à se comprendre, dans un contexte où le discours identitaire conduit à la stigmatisation de certaines personnes. Depuis cette idée, l’actualité nous a également confrontés à la mobilisation des jeunes pour le climat et aux marches liées au Black Lives Matter, mais aussi à l’apparition du coronavirus, avec son lot de restrictions et de précautions sanitaires.
La création de « Wakatt » devant effectuer différentes escales du Burkina Faso à la Belgique en passant par le Mali et la Tunisie, et impliquant des artistes venus de plusieurs pays, prend des allures de parcours du combattant (semblable à celui auquel sont actuellement confrontés la plupart des artistes et institutions culturelles). Le choix de lier intimement le travail chorégraphique et les propositions musicales du flûtiste Magic Malik, n’a aucunement facilité la tâche du chorégraphe, pas plus que les blessures subies par certains interprètes.
Au-delà de la performance qui a permis de surmonter obstacles et contraintes, Serge Aimé Coulibaly renouvelle, une fois de plus, une synthèse réussie entre traditions et modernité, entre sonorités et mouvement. Il joue sur de multiples contrastes, ombre et lumière, énergie et apaisement, solos et mouvements d’ensemble, confusion et sérénité, pour contrer certains désirs d’homogénéité culturelle et célébrer l’idée d’un présent (et un futur) partagé, avec des couleurs à foison.