Venant du fond de la salle, un Monsieur Loyal interpelle les spectateurs sur leur présence et leur comportement collectif. Brusquement il les invite à "sortir du cadre" et à se transformer en mouches zonzonnantes, pour appréhender le monde différemment. Grâce à ses bras incroyablement longs, un petit clown fait se lever le rideau. Ce personnage lunaire, incarné avec humour et grâce par Astrid Akay, est un trait d’union entre des séquences fort contrastées. Sans a priori, il découvre, comme le spectateur, un monde étrange. Multipliant les facéties, il nous ouvre à l’imaginaire. Dans une sorte d’aquarium, au milieu des plantes vertes et des bulles de savon, cinq personnes attendent. Pour tuer le temps, un individu blasé converse avec son voisin : "Ça va ?... Bof !... Cahin-caha." Il lui casse le moral et déclenche par contamination la déprime des trois autres : "On en a tous marre. Comme tout le monde." En quittant la scène, le groupe n’arrive pas à choisir entre "cour" et "jardin".
Il faut dégraisser le mammouth ! Le comité directeur d’une multinationale est réuni en urgence, pour choisir à l’unanimité le procédé de licenciement de 13.500 "unités". Autonomie (François-Michel Vander Rest) mène la discussion avec Authenticité ( Fabian Finkels), Innovation (Pénélope Guimas), Diagnostic ( Fabrice Schillaci) , Visibilité (Mireille Bailly) et Transformation (Loriane Klupsch). Chacun défend un point de vue différent, en réglant des comptes et en protégeant son confort. Des propos souvent fumeux qui font que "Tout le monde n’a pas tout à fait tort". Durant la pause, on tente d’arrondir les angles, de nouer des alliances. A la reprise, Authenticité et Diagnostic défendent leurs pitchs. Autonomie trouve un prétexte pour les rejeter et proposer sa
"Structure poubelle". Approbation presque générale. Seule, Transformation, qui veut "remettre de l’humain au centre de la solution", se bat énergiquement pour rallier les autres à son projet... Malgré ce sursaut, les trois épisodes de cette série, tirée du "Grand tri" de Paul Pourveur stigmatisent le cynisme, la lâcheté et l’hypocrisie de cadres, soumis au credo de la société productiviste.
Entre ces séquences, des danses endiablées, hautes en couleurs et des caricatures savoureuses. Afin de booster le nombre de followers, des youtubeuses se montrent enthousiastes et rassurantes. Avec des petits rires hystériques, elles affirment que "tous les défauts sont beaux" et recommandent une recette magique, pour embellir les cils, ces "cheveux des yeux". Sûrs de leurs vérités, deux complotistes adoptent un style plus pédagogique. Par un jeu de questions-réponses, malheureusement trop étiré, ils acculent les spectateurs à reconnaître que la terre est plate. En faisant appel à l’observation, ils prouvent aussi que l’homme n’a jamais marché sur la lune... Un défilé de mode a beau être muet, il en dit long sur le conformisme.
Maggy Jacquot et Axel De Booseré ne se placent pas au-dessus de la mêlée. En coupant le spectateur de son univers habituel, ils l’emmènent dans un voyage qui l’aide à réfléchir. Les changements scénographiques, la variété de l’humour, les découvertes du petit clown, le punch et la vitalité des comédiens nous tiennent en éveil et nous éblouissent... Se conformer à la tradition s’impose : applaudissons chaleureusement cette réussite.
Photos : © Prunelle Rulens