Jeudi 20 novembre 2008, par Jean Campion

Vomir son malheur

Fascination de l’image, prestige de la beauté, obsession de la minceur, drame de la boulimie, Anne-Bénédicte Bailleux brasse ces thèmes très actuels dans un monologue inégal. Desservie par le texte, qui devrait se concentrer sur le désarroi de Rose, Jessica Gazon ne maîtrise pas constamment son personnage. Par contre, elle manifeste beaucoup de virtuosité dans la suggestion de silhouettes antipathiques.

Ecoeurée par le gras que va produire le plat, qu’elle est en train de préparer, Rose y ajoute rageusement une poignée de cheveux et des poils de chat. Elle aime cuisiner, mais le poids est son ennemi numéro 1. Contrairement à sa mère, qui "se laisse mener en gâteau", elle considère que l’obésité est un crime écologique. Il faut ressembler à la jolie dame de la pub Nissan, qui embellit l’environnement. C’est pourquoi Rose suit un régime. Si la nourriture , qu’elle se plaît à mitonner, est trop appétissante, elle l’ingurgite et se fait vomir.

Lorsque le médecin la pèse, elle a horreur de se déshabiller devant la photographie de son épouse. Celle-ci semble la narguer par sa silhouette sexy. Le regard des autres la fait souffrir. Et pourtant, elle rêve de devenir une vedette du petit écran, en triomphant dans "Diet Story". Un reality show, où l’on se goinfre pendant plusieurs jours, pour devenir ensuite le champion de " l’auto-dégraissage". Elle prépare le casting avec habileté, ne lésinant pas sur les situations lacrymogènes, dont raffolent les téléspectateurs. Elle adhère bien aux fausses valeurs de ces émissions poubelles.

Pour évoquer les nombreuses déceptions et les réactions courageuses de cette fille mal dans sa peau, Jessica Gazon déborde d’énergie. Elle donne vie à des poupées de chiffons, décapite des barbies, jongle avec les accents, chante en play-back, danse un rock, change deux fois de costume, transforme le décor et manipule fréquemment micro et caméra. Cette dispersion casse l’élan du spectacle et l’empêche de prendre de l’épaisseur. Nous voltigeons d’une scène à l’autre, au lieu de nous focaliser progressivement sur la détresse de Rose.

Très à l’aise dans la caricature, la comédienne rend cocasses quelques personnages secondaires. C’est avec un humour mordant qu’elle ridiculise la diplomatie du médecin diagnostiquant une surcharge pondérale ou l’infirmière despotique, qui infantilise les pensionnaires du home. Elle suggère efficacement la vulnérabilité et l’aveuglement de l’héroïne. Certaines séquences sont émouvantes. Comme celle du piège tendu par le garçon, dont elle est amoureuse. Il lui pose un lapin, la photographie à son insu devant une pub "Taille Fine/ 50 % matières grasses" et en fait la risée de la classe. Jessica Gazon revit cette trahison avec une sobriété déchirante. Cependant la rareté de ces moments forts laisse le spectateur sur sa faim.