C’est une pièce sur la solitude, le malaise existentiel, l’horreur de devenir adulte et de passer à l’ennemi. Les adolescents refusent l’harmonie familiale, cette camelote. Ils se posent les bonnes questions, celles qui n’ont pas de réponse. Ils refusent qu’on leur mente, qu’on fasse semblant. Et nous tous, les adultes qui sommes dans la salle, nous ne pouvons qu’approuver. Les adolescents veillent dans le noir quand les parents dorment, ils sont les barbares aux portes de la ville, mais les parents eux-mêmes, pourquoi se sont-ils à ce point endormis ? Au point que plus rien de l’existence ne peut les éveiller que les meurtres crapuleux étalés dans les journaux ? Les enfants, eux, sont éveillés à mort. Ils sont le feu de ce monde. Et ce monde doit être purifié. La vérité sort de la bouche des adolescents.
La mise en scène sert remarquablement ce poème apocalyptique. Difficile d’aborder le décor sans le déflorer, mais il reflète à la fois l’aspect mélancolique, clinique du texte, mais aussi sa trivialité. Et les comédiens jouent sans cesse, avec superbe, sur ces deux registres, réaliste et lyrique, tragique et comique. Car l’on rit aussi pendant ce spectacle, on rit du mal et de nous-mêmes. Sofia Betz, la metteure en scène, manipule l’ironie avec bonheur. On se tend, penché en avant pour recevoir en plein visage la gifle qui nous est adressée et aussitôt la parole qui caresse, on se rejette en arrière dans un souffle libérateur, parce que ce qui devait être dit l’a été.
Est-ce le fait que l’adolescence ne soit pas si loin de Sofia Betz qui lui permet de la représenter avec tant de vérité ? Il faut voir avec quels subterfuges elle traite la difficulté de représenter le feu sur scène (je n’ai rien le droit de dire), la relation entre le dedans et le dehors, la scène et le hors-scène, le rythme. Elle prend à bras-le-corps la sauvagerie et la légèreté du texte, n’en gomme ni la violence, ni l’érotisme, ni l’humour. On n’en sort pas indemne, et c’est tant mieux.