José Van Dam n’a pas eu froid aux yeux d’accepter de jouer avec une parfaite inconnue, se privant de l’appui de sa partenaire habituelle. Le plus étonnant, c’est que Jo Deseure donnait par moments l’impression de littéralement incarner l’absente du bouquet infernal. Présence scénique ahurissante, modèle d’interprétation improvisée, tout en gardant un contact oculaire discret avec le texte diffusé sur des écrans aux premières loges de chaque côté de la scène.
Pour le fond, Thierry Debroux s’est emparé du mythe des vampires, mélange de roman historique et de science-fiction qui ne cesse de nous fasciner, que ce soit en littérature ou au cinéma. Tout le monde a lu « Dracula » de Bram Stoker en édition simplifiée lors de ses premiers cours d’anglais, là où d’autres auront exploré la jouissance littéraire des passionnantes « Vampire Chronicles » d’Anne Rice ou encore le fameux « Interview with a vampire » avec Tom Cruise et Brad Pitt. D’aucuns se souviendront du « Bal des Vampires », le film de Polanski sorti en 1967. Le thème de l’immortalité est l’un des favoris de Jacqueline Bir, de même que ceux de la beauté, de la jalousie, de l’amour impossible, de la sensualité et de la mort. Son interprétation de ces thèmes était certes beaucoup plus forte dans « Le cri de la langouste » où elle incarnait Sarah Bernard, mais on trouve dans « Vampires » une sérénité indiscutable, un lâcher-prise et une sensibilité pleine d’humour et d’humanité. On reconnait les morsures de Thierry Debroux qui s’attaque avec malice aux maux du Temps : le bruit dévastateur de paysages du TGV, la manie des téléphones portables, la toute-puissance du Saint-Dicat, le diktat du Buzz à tout prix, l’envoûtement de Facebook, nos nourritures terrestres frelatées, si pas carrément empoisonnées, et en passant, quelques coups de griffe aux bobos bio ! Côté nourritures célestes, on mélange allègrement Ronsard et Corneille(s)… Le texte de cette comédie moderne est donc très plaisant, bien bâti, bien rythmé.
Mais la part du lion va à la critique acerbe du show business, via le personnage déjanté du bouffon parfait, un créateur de comédie musicale (seul genre littéraire et musical subsistant apparemment en 2015). Ce carnassier moderne a jeté son dévolu sur le manoir où se sont soudainement réveillés Isadora (roulez le r) et Aménothep après 102 ans d’hibernation. Véritablement gondolant dans son rôle, au propre comme au figuré, le metteur en scène fou croasse à merveille et excelle dans sa manière de vampiriser les vampires. Peinture de notre monde ? C’est le délectable comédien Angelo Bison qui est à l’œuvre. Il entraînera le couple dans des répétitions délirantes, créant musique et texte au fur et à mesure des malentendus et des sinistres rebondissements. Aurelia Bonta, sa très appétissante assistante en talons aiguilles rouges, incarne la victime de toutes les peurs et angoisses. Elle se débat dans le cauchemar avec la dernière énergie vocale et corporelle. Il y a aussi Maurice (ou Serge), l’ineffable maître d’hôtel, qui participe avec grande finesse à ce vaudeville très particulier. Bruno Georis est impeccable dans l’humour et les gestes, une perle de sang-froid si l’on peut dire !
Même la deuxième fois où l’on voit le spectacle, avec cette fois l’illustre Jacqueline revenue de ses maux de gorge incapacitants, on rit de bon cœur aux plaisanteries taquines d’un texte qui continue à amuser franchement. La reine de la nuit rouge a une allure folle sous un maquillage, des coiffures et des costumes parfaits. Rien à voir avec l’affiche du spectacle. Isadora est une vampire attachante aux tendresses inattendues malgré les chamailleries internes au couple. Elle éprouve des réticences très humaines devant la mort violente par balles… et se fabrique finalement des noces de cendre grandioses avec son compagnon de toujours. Son interprétation est, on s’en doutait, totalement convaincante aux côtés d’Aménothep/José Van Dam, très joli cœur, qui parfois pousse la chansonnette en l’honneur de Mozart.