Ambiance décontractée créée par le pianiste Laurent Ancion. Alors que le public s’installe, un homme à l’allure de clergyman, tourne nerveusement les pages d’un carnet noir. Tout à coup il se décide à affronter les spectateurs. Leur présence le met au pied du mur : il se sent obligé de leur parler. Une confession facilitée par la fatigue... Il a renoncé à maîtriser les événements de son existence. La vie le force à baisser le masque.
"Je suis un caméléon. Ça me plaît le camouflage." Par exemple se glisser dans la peau d’un petit fonctionnaire. Buvant ses deux bières, tous les midis, à la terrasse du même café, il attire la sympathie du patron. Quand celui-ci l’invite dans sa maison, il lui loge deux balles dans la tête. Un jeu d’enfant. C’est avec la même impassibilité que ce tueur à gages évoque sa première victime : "Il était tellement proche que j’ai senti la balle entrer dans sa tête. J’en ai mis une deuxième, pour être certain." Il fait son job, consciencieusement.
Tout au long de sa carrière, ce professionnel intelligent et efficace a acquis une expérience impressionnante. Ainsi il trouble les enquêteurs, en diversifiant les armes. Le couteau (ça fait crime crapuleux), la bombe artisanale (ça fait terroriste) , le poison (ça fait règlement de compte familial) créent de fausses pistes. Internet facilite la vie. Mais rien ne vaut le contact avec la cible, pour la cerner et l’avoir à sa merci. Faut des moyens ! L’assassin méthodique sacrifie un tiers du contrat pour ce travail d’immersion. C’est un artisan méticuleux, qui aime peaufiner, prendre son temps. Six contrats par an. Pas un de plus. L’argent de deux contrats est reversé à des oeuvres caritatives, choisies pour la qualité des services. En vue de la liquidation d’un prof, le tueur a suivi ses cours à l’université. Séduit par l’anonymat des auditoires, il y est retourné. Rien que pour le plaisir. Passionné par le cours d’anthropologie sociale, il a tenu à préparer, passer et corriger lui-même l’examen. Une brillante réussite qui l’a obligé de refuser un contrat. Tant pis pour le commanditaire : "On ne m’impose jamais rien."
Pourquoi est-il devenu tueur à gages ? Tout simplement à cause de son père, qui lui a mis le pied à l’étrier. C’était un tireur d’élite, accro à son vieux fusil. Pour pratiquer le tir embusqué, il se camouflait sur les toits. Un jour, il est tombé. Une chute de douze étages, que cette tête de mule aurait pu éviter en changeant de technique. Son fils lui reproche son entêtement et se promet de ne jamais respecter une habitude. Une résolution qui fait écho à d’autres appels à la vigilance. Quand le "travail" est terminé, il ne peut pas s’empêcher d’écouter les infos. S’attarder sur le crime, le profil de l’assassin est une faute professionnelle. Il ne faut pas se laisser submerger par les événements. Ni par les sentiments. Refuser un contrat, parce que la "cible" a des enfants est un signe de vieillissement. Il faut se ressaisir.
Grâce à sa fluidité et à sa progression claire, le monologue de Fabrice Gardin stimule constamment notre curiosité. L’autosatisfaction de cet orfèvre du crime masque de plus en plus mal ses doutes et son désarroi. Marc De Roy, qui l’incarne, fait sentir d’emblée sa difficulté à sortir de l’isolement. Des mots incontrôlés perturbent ses premières confidences. Et puis il nous convainc intelligemment de son savoir-faire. Mais sans la moindre vantardise. On sent qu’il perd pied. Ni la métaphysique, ni les paradoxes sur le mensonge, ni sa réussite professionnelle ne le rassurent. Par son jeu intériorisé, le comédien réussit à faire de ce monstre froid, amoral, inhumain, un homme fragile et désespéré. Une belle performance.
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