Les Fils de hasard, espérance et bonne fortune est un spectacle créé en 1996 qui s’inspire du récit de quatre mineurs italiens. S’il est aujourd’hui remis à l’honneur, c’est, comme le note la metteuse en scène Martine de Michele, « pour donner corps à la fois à ces témoins d’une époque mais aussi, par résonance, aux migrants actuels ainsi qu’à toutes les questions sensibles et fondamentales qui émergent de cette problématique : l’exil, l’accueil, l’intégration, la solidarité, etc. »
Ce devoir de mémoire envers une partie importante de notre histoire amène effectivement le spectateur à le mettre en perspective avec les questions soulevées actuellement par les importants flux migratoires d’hommes, de femmes et d’enfants fuyant les conflits armés pour sauver leur vie et vivre dans des conditions meilleures.
En outre, la mise en scène fait usage avec habileté du souvenir de chaque protagoniste d’une époque révolue : chaque mineur raconte son départ d’Italie représenté sur scène comme une image d’Épinal et son arrivée en Belgique, pays dont il ne connait ni la langue, ni les usages, ni la culture. Les récits des quatre mineurs se croisent et se répondent, et révèlent, comme plusieurs pièces d’un puzzle, les conditions de vie des mineurs de l’époque. Durant leur récit, ils se font face, assis à côté du public, qui est divisé en deux parties qui se font face dans un dispositif bi-frontal. Assis au bord de la scène, ils laissent se déployer sous leurs yeux leurs souvenirs, s’amusent en les grevant de commentaires et de détails savoureux, en italien et en français, s’adressant directement au public.
Les jeunes acteurs qui tantôt incarnent les différentes parties du récit des quatre mineurs, tantôt s’adressent eux-mêmes au public pour évoquer leurs origines italiennes, amènent une tonalité particulière à leurs histoires et rendent sincèrement compte de cette jeunesse pleine d’espoirs déçus, de rêves incertains, et d’un retour au pays hypothéqué pour des raisons qu’ils découvrent trop tard, au péril de leur propre vie.
La scénographie est sobre et élégante : une ligne de rail traverse le plateau et trace la ligne séparant les deux parties du public se regardant en miroir. Le travail sur le son et la lumière permet de nous plonger dans cette atmosphère irrespirable des mines et d’un peu mieux comprendre les conditions de travail dans les charbonnages, qui ont longtemps fait figure de fleuron de l’économie belge.
De quoi démystifier cette période de notre histoire et se rappeler, à bon escient, que ce qui se passait autrefois dans nos mines et qui nous est aujourd’hui insupportable se passe encore à l’autre bout de monde. Car si nous pouvons continuer à offrir des smartphones à Noël, c’est bien trop souvent au prix de ce sang noir.