Au début de l’histoire, des pièces d’un avion commencent à tomber du ciel, et l’un des passagers, sanglé dans son siège. Un beau jeune homme au visage limpide. Le vieux couple du professeur de mathématique Harold et Elsie, qui avait choisi de reprendre la ferme paternelle, découvre cette chose totalement ahurissante et apocalyptique dans leur univers clos qu’ils annoncent avec humour, quelque part sur un chemin, par une pancarte : « Si vous pouvez lire ce ci, c’est que vous êtes perdu ! » Et en avant les phrases sibyllines, surréalistes, vêtues de sens multiples, touchantes comme les galets littéraires semés par Samuel Beckett ou Harold Pinter.
Le froid humide, l’absence de lumière de la cave souterraine où se joue la pièce contribue à l’atmosphère lugubre. Si on sort les couvertures sur scène, on les sort aussi dans les fauteuils de l’assistance, question de se mettre au diapason. Harold et Elsie réagissent à cet accident terrifiant, métaphore de la fin du monde, chacun à leur manière. Harold (Alexandre Trocki) s’empresse auprès de sa femme, en lui prodiguant mille attentions amoureuses et tendresse de longue date. Il fait la lumière à commencer par une torche, puis une lanterne puis une armée de bougies, photophores et chandeliers, pendant que la femme veille le mort, et se met à lui parler. Son âme et-elle encore là ou est-elle déjà partie ? Elsie (Brigitte Dedry) prend l’initiative d’une longue conversation à sens unique avec le jeune homme mort. Elle risque la prière. Lui, recrée minutieusement sur la scène de l’accident un semblant de vie domestique quotidienne en amenant auprès de la femme qu’il aime, fauteuil de salon, tapis, chocolat chaud… A la façon de ces oiseaux fidèles, faiseurs de nids, indissociables et tendres.
Et puis, si tout cela n’était qu’invention commune ? Recherche désespérée de sens ? Une pure invention, comme le jeu des enfants, quand leur imagination est palpitante en regardant les étoiles et en entendant les cris féroces de la nuit. Et si, sur scène, on voyait se réaliser la magie de l’amour ? Et si ces comédiens vieillis étaient tout simplement en train de mettre en commun leur âme d’enfant ? Et si cette mise en scène était la catharsis d’une douleur ancienne innommable ? Une perte insupportable ? Peut-on nommer la douleur la plus grave pour des parents ? Vous êtes bel et bien en plein voyage métaphorique ! La dernière phrase tombe, comme une pièce détachée de métal brûlant. « Mais comment peut-on expliquer tout cela ? » « Il n’y a rien à expliquer ! »
La mise en scène de Virginie Thirion, jointe à la scénographie et aux costumes de Marie Szersnovicz, ont de quoi glacer le corps mais pas le cœur. La création sonore palpitante, grande composante de la pièce, est signée Marc Doutrepont.
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