Dans "Trois acteurs, un drame", un auteur catastrophé supplie ses interprètes de se glisser dans la peau de ses personnages avec plus de conviction, de les incarner corps et âme. Il a beau s’agiter comme un beau diable, il n’obtient que des remarques désabusées et la promesse de jouer ce navet "une dernière fois". Formule qui prend un sens particulier, à la lueur des répliques échangées par les comédiens, avant d’entrer en scène. Le rideau se lève sur un mélodrame moyenâgeux qui vire rapidement à la farce débridée. Affublés d’oripeaux ou de costumes bricolés, les comédiens déclament avec emphase un texte ampoulé, en multipliant les querelles avec le souffleur et les clins d’oeil au public. Michel de Ghelderode barbote avec délectation dans la bouffonnerie pour notre plus grand plaisir. Mais sous le masque, sous le spectacle ridicule, se cache le drame profond vécu par les trois acteurs.
Confrontant également l’univers théâtral et l’univers réel, "Vénus" est une pièce plus fantastique. Obsédée par la beauté de la Vénus de Milo, une comédienne, incarnée avec punch par Frédérique Panadero, veut
ressembler à cette petite soeur et n’hésite pas à faire appel au talent artistique d’un boucher allemand, pour l’amputer de ses bras. Un autre désir de l’héroïne est de jouer nue, alors que son amoureux se refuse à quitter son scaphandre. Un archéologue qui prétend avoir retrouvé les bras de la statue et un comte russe qui a perdu les siens sur un champ de bataille complètent cette galerie d’illuminés. L’intérêt offert par chaque délire est inégal. Celui du dépeceur teuton est irrésistible. Philippe Sassoye enfile le tablier de ce boucher, transcendé par "Les Chants de Maldoror", avec jubilation. Par son enthousiasme cynique et sa cruauté joyeuse, il ressemble étrangement au héros de "Délicatessen" , le film de Jeunet et Caro. Séduisante par sa détermination romantique, Vénus se noie parfois dans des considérations fumeuses. L’archéologue naïf, joué avec finesse par Renaud Van Camp, nous intrigue, mais le scaphandrier et le comte manchot manquent de relief. Florent Minotti et Jean-François Brion endossent efficacement des rôles plus passionnants dans "Trois acteurs, un drame"
Malgré ces défauts, ces deux courtes pièces, écrites à la fin des années 20, défient le temps et passent bien la rampe. Mettant en scène des personnages qui se débattent désespérément entre l’être et le paraître, elles trouvent un écho dans notre époque, fascinée par les miroirs aux alouettes.