La lettre de José commence par le rêve d’une étreinte amoureuse. Vera était rouge comme une fraise mûre. Cette image ravive un souvenir d’enfance et le désir de se frotter à la sensualité de la vie. Dans ce pays désertique, "c’est la fin du monde". Des jours de permission vides de sens, l’enterrement de trois frères d’armes, victimes d’un attentat et la certitude de moisir dans cette caserne, six mois de plus. José s’en veut d’écrire une lettre aussi triste. Mais "les lettres n’en font qu’à leur tête, elles disent ce qu’elles ont envie de dire." Persuadé que Vera lui pardonnera, il lui promet un baiser plein d’amour.
Lettre sage qui contraste violemment avec l’aveu d’un soldat désespéré, gagné par l’écoeurement, la peur et la honte. Karim Barras vit le drame de cet homme qui s’enfonce dans la folie, avec une intensité impressionnante. Les images de Vera se mêlent aux prisonniers maltraités, aux soldats défoncés, aux palpitations qui le privent de sommeil, au médecin insensible et au capitaine intransigeant qui lui répète : " L’armée a besoin de tous les bras."
Vera, dont le prénom suggère futur et vérité, a le don de deviner l’avenir. Comme Cassandre, elle subit cette malédiction. Prévoir un malheur et ne pas être crue est "une plaie brûlante, à vif ". Elle l’a ressenti à la mort de sa mère, puis sur cette plage où ils se sont aimés. José jurait qu’il ne lui mentirait jamais et elle savait que c’était déjà un mensonge. Cette nuit-là, elle s’est rayé les yeux avec le sel de la mer, pour croire en l’avenir. Si devant cette lettre, elle pouvait à nouveau s’aveugler... Elle va, au contraire, ressasser chaque phrase, pour déshabiller les mensonges, percer les intentions et éclairer les non-dits. Anne-Pascale Clairembourg incarne une femme tiraillée entre son amour et ses certitudes, avec une émotion contenue. Les larmes aux yeux, elle poursuit implacablement son chemin vers une atroce vérité.
La pièce manque d’homogénéité. En se succédant, ces monologues éclairent mal l’amour qui subsiste entre deux êtres séparés par un fossé infranchissable. On voit avant tout un homme détruit par la guerre, puis une femme prisonnière de sa malédiction. Pedro Eiras emploie des mots simples, qui reviennent en boucles poétiques, de façon lancinante. Et l’analyse scrupuleuse de la lettre entraîne d’autres répétitions. Plus indigestes.
Un plateau vide, au centre duquel chaque comédien vient mettre à nu les sentiments de son personnage, presque sans bouger. Des bruits de guerre entre les deux parties, quelques sons discrets pour souligner le silence... On regrette que cette mise en scène très épurée tienne le spectateur à distance d’un texte complexe.
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