Mercredi 13 janvier 2010, par Jean Campion

Une Folle leçon de vie

"Madame Marguerite" permit à Annie Girardot de réussir, en 1974, un brillant retour sur les planches. Et depuis trente-cinq ans, cette pièce de Roberto Athayde est jouée avec succès, un peu partout dans le monde. La version qu’en donne Pauline Dupont, une jeune comédienne sortie récemment du Conservatoire de Mons, met en valeur les contradictions qui tiraillent cette femme impétueuse, mais ne fait pas ressentir sa désespérance.

Tout au long de ce "monologue tragi-comique", Madame Marguerite brouille les pistes. Habitée par un grand besoin de transmettre son savoir, elle se persuade que ses élèves de septième forment une bonne classe et que "les bonnes classes font les bons maîtres". Cependant cette image rassurante d’institutrice traditionnelle est très vite démentie par des propos cyniques, des allusions grivoises, des injures et des prococations. Ainsi, pour vérifier si tout le monde peut lire au tableau, elle écrit un petit mot... CUL !

Elle veut sincèrement armer ses élèves contre les difficultés de la vie. Mais elle nous déroute en zigzaguant sans cesse entre la séduction, les menaces, l’obligation d’obéir, les coups de gueule, le mépris, les confidences attendries et les sanctions. Lorsqu’elle prétend éclairer le fonctionnement du corps humain ou l’étymologie d’un mot, ses explications relèvent de la plus haute fantaisie. Comme une funambule sur le fil ténu de la raison, elle perd fréquemment son fragile équilibre et bascule dans le délire.

Délire qui l’entraîne parfois dans des crises d’autoritarisme : "C’est moi le maître, c’est à moi de parler, c’est à vous d’écouter." Par ces pulsions tyranniques, qui nient la parole de l’enfant, Madame Marguerite dénonce le formatage pédagogique. Et elle n’hésite pas à persuader ses élèves qu’ils sont ENFERMES entre les quatre murs de la classe. Comme dans leur famille, où ils n’ont pas demandé à naître ! Pour Jean-Loup Dabadie, qui a adapté cette pièce écrite sous la dictature brésilienne, l’héroïne de Roberto Athayde est "révolutionnaire sans le savoir et réactionnaire sans le vouloir."

Pauline Dupont incarne ce personnage exalté et fantasque, avec une énergie généreuse et une autorité agressive. Elle se sert habilement du cadre intime, pour transformer les spectateurs en écoliers interloqués. Mais pourquoi ces bas disgracieux et ces hauts talons mal apprivoisés, qui lui enlèvent de la prestance ? La mise en scène d’Isabelle De Hertogh diversifie efficacement les angles de vue. Malheureusement, elle prend aussi des initiatives contestables. Le masque à gaz "anti-boules puantes" est un gadget qui dédramatise la situation. La projection de dias sur les méfaits de la drogue est déjà une séquence laborieuse. Fallait-il l’alourdir en faisant fumer un joint à Madame Marguerite ? Celle-ci a beau afficher une vitalité débordante, elle traîne un profond mal de vivre et n’est pas nécessairement esclave de l’alcool. En supprimant l’intervention finale d’un élève, la metteur en scène rend le dénouement plus explicite. Ces maladresses montrent qu’elle s’efforce d’éclairer le comportement de cette femme au bord de la folie. Dérisoire et pathétique, Madame Marguerite devrait conserver son mystère. Sa violence, son esprit subversif, sa suspicion, sa mégalomanie, ses idées suicidaires ne l’empêchent pas de nous donner le monde à aimer et de nous apprendre à "faire de belles phrases. Pas chères ! Pour décorer le silence !"