Comment est née l’idée de ce « Moment avec Eric » ?
Thierry Hellin : Depuis le décès d’Eric en 2014, Thierry Lefèvre et moi avions le désir d’organiser un moment autour de lui. Pas quelque chose de solennel, mais plutôt un moment festif, théâtral. Il y a eu d’autres hommages importants que nous avions axés sur la musique. Mais nous avons voulu un cabaret où les partitions seraient distribuées à des artistes qui ne connaissaient pas Eric, en leur laissant la liberté de créer d’autres mélodies dans un esprit d’ouverture et de fête. Parce qu’Eric adorait manger, boire et faire la fête. Et pour les lectures aussi. Nous avions 7 jours et 8 textes à choisir. On a proposé aux lecteurs de faire un choix parmi les 40 textes qu’Eric a écrit.
Thierry Lefèvre : Pour le cabaret, on a donné carte blanche aux artistes. On a découvert le résultat le matin même.
Comment se passait le travail, la collaboration avec Eric Durnez ?
Thierry Hellin : Eric a travaillé quasi exclusivement pour nous. Il était celui qui mettait les mots sur les idées. On partait d’une thématique, Eric écrivait, revenait avec une proposition à laquelle il était rare que l’on apporte des changements. C’était souvent un premier jet. Nous en discutions. Il améliorait avec quelques retouches. Eric pouvait travailler ses textes sans discontinuer sans pour autant pratiquer l’écriture de plateau. Lorsque sa proposition était définitive, il nous remettait sa version finale et nous en faisions ce que nous voulions.
Thierry Lefèvre : Il disait qu’il était mort…
Quelle sera la suite pour « Une compagnie » ? Allez-vous écrire vous-mêmes, faire appel à des auteurs ?
Thierry Hellin : On se retrouve orphelins… Avec Eric, c’était avant tout une amitié. C’était une histoire de gens, de compagnonnage, d’amis. Eric sera toujours là. Quand il est mort, on avait trois projets en chantier. Pour l’un, nous avons 3-4 pages, pour un autre presque rien, pour un troisième 12 pages. On a une envie d’écrire aussi…. peut-être justement à partir de cela : Que faire quand on n’a pas de mots ?
Thierry Lefèvre : Il nous a quittés… On essaye de dresser le bilan. C’est la question : comment passer par une écriture qui serait la nôtre. Il y a une envie d’écrire sur ce que l’on ressent quand on est dans le tunnel, sur les solitudes.
Thierry Hellin : Et puis envie de se trouver à deux sur le plateau, de se laisser aller et de s’entourer de personnes qui connaissent la compagnie.
Qu’est-ce qui vous touche dans les textes d’Eric ?
Thierry Hellin : Quelqu’un l’a relevé au cours de la rencontre tout à l’heure : Eric était un écrivain du silence. Le non-dit se sent si fort dans ce qui passe sous le silence. Il était dans la narration, sans être descriptif. Il était dans la poésie avec des propos parfois « terre à terre ». Il aimait les mots et pouvait jongler avec une somme de styles différents. Il était épique, shakespearien, tragique… Avec lui, on est à la fois dans le conte, dans la nouvelle. Il avait cette bivalence en lui. Chaque chose peut être son contraire. Ce qui est simple est compliqué, ce qui est beau peut être laid. Ses écrits ne sont pas sur l’actualité. Mais il a cette manière de contourner tout, en parlant de choses réelles, concrètes. C’est une écriture théâtrale « jouante », avec une préférence pour des scènes courtes, des scènes à eux. Et puis il y a le plaisir de la comédie. Les textes sont magnifiquement écrits.
Thierry Lefèvre : Il disait : « J’aime les fleurs mais je n’aime pas que l’on sache que j’aime les fleurs... »
Thierry Lefèvre, vous avez été son principal metteur en scène. Comment abordez-vous les textes d’Eric ?
Thierry Lefèvre : Ses textes sont musicaux. Ce qui frappe c’est la musicalité. Je les lis et je rêve. Je laisse venir. Puis, je cherche l’espace le plus juste. Je privilégie le minimalisme. Parce que mon goût va vers le dépouillement sur la scène mais surtout, nous voulons donner de l’importance au texte et au comédien qui le dit bien sûr. « Le dernier ami », j’avais envisagé de le présenter avec une simple chaise. Quand je commence le travail, je passe par des improvisations. J’apprends le texte, et puis je le lance dans l’espace. Je prends une chaise ou autre chose… Le corps trouve des solutions, des chemins.
Avez-vous un souvenir spécifique d’un moment passé avec Eric, un moment auquel il vous arrive de penser, une vision ?
Thierry Hellin : Dix jours passés avec lui en France. On écrivait durant la journée. On allait faire des courses. C’était chez lui dans le Gers (une région avec des produits de terroir…). On avait tout à coup un petit creux, on mangeait… Eric savait très bien cuisiner… Eric se mettait au piano… On se rendait régulièrement dans le Gers… Sa maison était une maison de passage… on y retrouvait sa compagne Claire. Il y avait des caravanes dans le jardin. On pouvait y loger à plusieurs…. On chantait. Eric était un érudit en musique, en classique, jazz… Mais ce n’était pas un ange pour autant. Il y a eu des doutes, des absences, des silences à certains moments… C’était quelqu’un qui pouvait être très noir, très pessimiste mais jamais avec cynisme… C’était une belle personne avec beaucoup d’autodérision, une grande lucidité sur la vie. Il aimait la vie même s’il s’en cachait. Il n’avait absolument pas envie de partir…
Thierry Lefèvre : Pour moi, ce sont des promenades dans le Gers et des conversations où l’on parlait de la vie. Il me reste la saveur de l’émotion partagée à travers le théâtre. Pour « Le dernier ami », j’ai tout à coup la vision d’une salle de fête, froide, avec de chaises en plastique, bleues… Il avait écrit une première version. On a beaucoup pleuré. Il m’a demandé de m’absenter et m’a présenté une nouvelle version. Pour ce texte, « Le dernier ami », il s’est emparé de ma rencontre avec Max Gély. Il y a un ancrage dans le réel… Mon ami est mort aussi et c’est le début du ‘Dernier ami » « Quand mon dernier ami est mort, j’ai quitté le village…
Thierry Hellin : Il a laissé un mot dans une cache que sa fille a retrouvé et qui dit : « Je m’en aperçois un peu tard, c’est d’une grande banalité, mais la vie est belle... »
Crédits photos ALICE PIEMME / AML.