Pour dissiper la méfiance de Madeleine, Evelyne lui précise clairement sa situation. Bénévole, elle a suivi une formation, qui l’a préparée à lui rendre visite régulièrement. Elles ont rendez-vous un mardi sur deux. Exilée aux "Papillons", une maison de repos aux couloirs sans fin, Madeleine fulmine contre cet "Hôtel", qui étouffe sa liberté. Pas question de conserver certains meubles ou son chien Blondie. On les estime "ingérables". Le sourire revient, quand elle se revoit élève de monsieur "Toutgris", qui l’amuse, en montrant que les lettres de "chien" se retrouvent dans la "niche". Elle déborde d’énergie, en revivant les alertes, durant la guerre. Collée à sa mère, elle chantait à tue-tête "Malbrough s’en va-t-en guerre". Pour couvrir le bruit des bombes.
Cette mère adorée souffre-t-elle encore de la hanche ? Pourquoi ne lui a-t-elle pas acheté un matelas ? Le passé se dilue dans le présent. Madeleine maîtrise de moins en moins ses pensées. Elle doute de l’exactitude de certains mots, confond les mardis, pique une colère parce qu’on lui a volé ses lunettes, reproche à Evelyne de ne pas l’avoir embrassée. Face à ces sautes d’humeur, celle-ci a parfois du mal à se contenir, mais tient bon. Minée par un chagrin d’amour, elle espère que ces tête-à-tête l’aideront à se réconcilier avec la vie. Madeleine est totalement isolée. Après deux visites, son fils Mathieu a renoncé à la voir. "C’est au-dessus de mes forces.", a-t-il confié à Evelyne. Quand il envoie une carte postale, elle la lit avec entrain, en insistant sur son travail, qui dévore tout son temps. Madeleine s’incline et se réfugie auprès de son cher Henri, "dans la lumière qui débordait de son atelier". Tous les dimanches, elle suivait "Visa pour le monde". Une émission tellement ancrée dans sa mémoire qu’elle ne conçoit pas qu’on puisse l’ignorer. C’est pourtant le cas d’Evelyne, à qui elle demande , avec un petit air supérieur : "Est-ce que vous regardez la télévision ?".
Au fil des rencontres, on voit grandir la complicité entre les deux femmes. Evelyne ne s’enferme pas dans son rôle d’ange gardien. Peu importe que les propos de Madeleine soient désordonnés. Elle la laisse s’exprimer librement et se lâche. Elle ose évoquer cette escapade à Amsterdam et cet amour, plein de promesses, brutalement fracassé. Une confession qui la soulage, même si elle ne trouve pas d’écho. Dans un moment de lucidité, Madeleine oblige Evelyne à répéter trois fois : "Tu n’as pas de fils". Puis elle replonge dans sa jeunesse, critiquant sa soeur Gabrielle, qui aurait dû se marier. Comme le souhaitait maman !
L’alternance de monologues et de dialogues insuffle à la pièce un rythme alerte. Souvent narratrice, Evelyne précise ses rapports avec Madeleine, mais décrit aussi, avec une sobriété poignante, la détresse des autres résidents, à l’affût d’un moment d’attention. Dans son texte sensible, comme dans sa mise en scène dépouillée, Christian Dalimier fuit tout apitoiement. Pas de matériel médical ni de relents pharmaceutiques. Sur le plateau nu, une imposante barre pivotante. Selon les séquences, elle sépare des territoires, offre un appui, fait remonter les souvenirs ou tournoyer les robes. En incarnant Madeleine avec une grande justesse, Nicole Valberg rend cette femme égocentrique très attachante. Sans forcer le trait, elle passe en souplesse d’une résidente frustrée à une gamine rieuse, d’une malade qui sombre dans la confusion à une vieille dame protégée par sa nostalgie. Grâce à son jeu tout en retenue, Laetitia Reva nous fait sentir comment son empathie avec Madeleine la sauve du désespoir. On est subjugués par ce duo de comédiennes, qui éclaire remarquablement le texte subtil de Christian Dalimier.
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