Un conte d’hiver
Mot du metteur en scène :
La fable
Léontes, roi de Sicile, aime Hermione, sa reine, de toute son âme.
Elle va d’ailleurs bientôt lui donner un nouvel enfant.
Ils accueillent Polixènes, roi de Bohème,
l’ami d’enfance que Léontès considère comme son frère.
C’est la fête.
On s’amuse, on rit, on boit, on danse.
Un peu trop peut-être.
Et l’idylle tourne au drame.
Léontes, jaloux, commet l’irréparable.
« Tout cela n’existe pas ? Alors l’univers et tout ce qu’il contient n’existe pas, le ciel qui nous recouvre n’existe pas. Bohème n’est rien, ma femme n’est rien et il n’y a rien dans ce rien, si ça ça n’est rien. »
Viendra ensuite le temps du désespoir et du remord.
Heureusement,
ce qui se dessinait comme une terrible tragédie,
se transformera,
peut-être,
d’acte en acte,
en comédie
mêlant le romanesque au merveilleux
et le réalisme au fantastique
ou pas
Huit mois d’interruption dans mon travail, huit mois de réflexion, de recherche, de remise en question, d’interrogation profonde sur l’art et sur ses possibilités de transformer la douleur en beauté... Et finalement, 2015 pour un nouveau départ.
J’ai envie d’inviter le spectateur à un théâtre qui croit avant tout en son devoir d’insolence, qui secoue, qui ravage, un théâtre du feu qui consume nos certitudes.
Pour « Un conte d’hiver », j’ai envie de travailler sur la relation au tragique, avec une réflexion sur la déraison du pouvoir. La pièce nous présente un roi brisé par sa propre folie, l’horreur du pouvoir. Avec ma compagnie Belle de Nuit, une équipe artistique exceptionnelle composée principalement de fidèles compagnons et de quelques nouveaux, je poursuis dans mon envie de mettre en scène les liens qui unissent l’intime et le politique, la famille et le pouvoir, le pouvoir et la folie. Le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument...
Un Shakespeare actuel et non actualisé. Transposer les conventions shakespeariennes à la réalité. Rapprocher le texte de la vie. Plus besoin d’emballage. Faire des grands personnages de Shakespeare des gens ordinaires. Le devoir des contemporains est de déboulonner ces personnages et de les jeter à bas de leur monture.
Georges LINI.
Distribution
Avec : Anne-Pascale Clairembourg, Didier Colfs, Daphné D’Heur, Michel de Warzée,
Itsik Elbaz, Thierry Janssen,
Luc Van Grunderbeeck. Mise en scène : Georges Lini. Assistanat et dramaturgie : Florence Klein. Scénographie et costumes : Renata Gorka. Lumières : Alain Collet. Direction musicale : Daphné D’Heur
Mardi 19 janvier 2016,
par
Dominique-hélène Lemaire
Que la neige soit, et la neige fut !
Drame. Hermione (Anne-Pascale Clairembourg) est reine de Sicile, la belle épouse du roi Leontes et la mère aimante de Mammilius, un jeune garçon espiègle qui adore sa mère et « les histoires tristes que l’on raconte en hiver ». Injustement accusée de tromper son mari avec son meilleur ami Polixène, roi de Bohême, elle est jetée en prison, où elle donne naissance prématurément à une fille (Perdita) que le tyran Leontes fait disparaître dans un désert lointain. Une scène d’une violence inoubliable. On fait à l’épouse un simulacre de procès pour adultère et haute trahison. Qu’on la lapide, non ? Version blonde de la Reine Margot d’Isabelle Adjani, elle reste d’une dignité inébranlable devant son accusateur assoiffé de vengeance. On nous dit qu’elle mourra de chagrin après l’annonce du décès de son fils chéri, Mammilius, à qui on a interdit de la revoir. Seize ans plus tard, cependant, elle sera "ressuscitée" et réunie avec sa famille dans l’une des scènes les plus étonnantes de Shakespeare, revisité avec éclat par l’inventivité de Georges Lini.
Difficile de décider laquelle des trois femmes on préfère. Perdita ? Héroïne de conte de fées, façon Marylin Monroe, qui croit très peu aux princes charmants et est transformée en « daffodil virevoltant » par une exquise et solide Sarah Messens flanquée d’un pétulant Julien Bezure. Ou sa mère Hermione ? Noble victime expiatoire de la folie du soupçon. Ou l’intrépide suivante, Paulina, qui ose confondre et pourfendre le tyran ? Va ! Pour la pure jouissance physique verbale et vocale, la palme de l’interprétation féminine ira à Daphné D’Heur qui, incontestablement, dicte le rythme de l’affaire et préside à l’accouchement systématique des idées merveilleusement subversives. Tout en s’opposant avec une vigueur vivifiante aux diktats mortifères du Tyran, on assiste à la démolition méticuleuse et sans appel de l’échafaudage insensé de ses arguments. Cette femme est une reine dans son impeccable rhétorique cinglante et juste.
Face à elle, le tyran est un comédien flamboyant, ruisselant de vérité dans sa folie meurtrière. Itsik Elbaz, pour tout dire. Son jeu témoigne d’une urgence, d’un dynamisme rebondissant. Entêté comme un cabri. Les accès de rage et de mauvaise foi de l’enfant gâté et mal élevé se cognent, impuissants, aux réalités. Pathétique, il tente même à plusieurs reprises de séduire le public dans des apartés charmeurs et de l’engager dans la complicité de ses crimes. Il finit aliéné et seul, confondu par l’oracle de Delphes qui le condamne irrémédiablement. Ou presque. Une phrase sibylline laisse entrevoir un espoir.
Car cette tragi-comédie se veut un vrai conte d’hiver. De bon ou mauvais augure ? Est-ce une prédiction sinistre qui affirme que « Le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument... » ? Ou l’aveu optimiste que la pureté de la neige peut nous mettre sur la voie du pardon et peut effacer les blessures et rendre la dignité à l’humanité ? Miracle : la magie hivernale aura fait tomber la première neige dehors, dès la fin du spectacle. De quoi prolonger durablement la magie du texte. A moins que cela ne soit un clin d’œil de l’illustre dramaturge élisabéthain en personne, touché par l’époustouflante mise en scène, les décors et les costumes résolument avant-gardistes de Georges Lini. Celui-ci utilise en effet la transparence d’une cage de verre qu’il manipule comme un diamant pour faire apparaître nombre de réalités, pas toujours bonnes à voir ! Mais vous, spectateurs heureux, malgré quelques soucis de sonorisation (propres à une première sans doute), vous repartirez comblés par l’adresse, la finesse et la profondeur de l’interprétation de ce texte fabuleux dont les fibres poétiques jusqu’aux moindres fleurs sont littéralement mises à nu.
Royale est la distribution. Le fidèle Camillo, vaillant creuset où siège la raison, est interprété par un Luc Van Grunderbeeck au mieux de sa forme. L’autre roi, joué par Didier Colfs, n’est pas en reste car sa prestation très authentique de terrorisme familial au quatrième acte, scène 4, vaut vraiment le détour. Vous avez aussi ce capitaine Haddock devenu Berger sous les traits de Michel de Warzée, qui donne avec son comparse Thierry Janssen l’indispensable dose d’humaine bouffonnerie propre au théâtre de Shakespeare. Et pour finir, l’exquise métamorphose du jeune enfant et du Temps - celui qui annonce, celui qui sait et qui raconte - un diamant vert planté sur la poitrine, c’est encore, Louise Jacob.
Dominique-Hélène Lemaire
Un spectacle de la Compagnie Belle de Nuit, en coproduction avec le Théâtre Royal du Parc et l’Atelier Théâtre Jean Vilar.
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