Dans trois situations particulières, un couple, incarné par les mêmes acteurs, vole en éclats. Ils en sont au dessert. Elle a mis les petits plats dans les grands et sollicite les appréciations de son époux. Extrêmement flatteuses. Ce repas est « un avant-goût de paradis ». Brutalement, elle interrompt ce flot de félicitations : « Je te quitte ». Devant le scepticisme de son mari, elle confirme : « pour de bon ». Protestations, aveux de tromperies réciproques, bagarre à propos de Diva, « sa » chienne, qu’elle n’a jamais pu supporter, débouchent sur une monstrueuse vengeance. Même retournement de situation dans la deuxième séquence. En refusant de continuer à vivre avec un mari, amoureux d’un pompier, le femme met le feu aux poudres. Dans la troisième partie, des parents détestent leur fils de quatre ans, qu’ils se refilent comme une patate chaude. Comment échapper à sa tyrannie ? Peut-être en se séparant...
Sur l’écran qui découpe le spectacle en tranches, figurent des indications ironiquement rassurantes. Des clins d’oeil qui, associés à l’humour noir des dialogues, nous incitent à oser rire de cette violence provocante. Pas d’apitoiement ni de condamnation morale, mais une prise de conscience de réalités inacceptables. Quand excédée par un homme « nul dans tous les domaines » ou par un mari homosexuel, la femme décide de quitter le foyer, l’homme s’y oppose. Farouchement. C’est une question de survie. Les insultes, les menaces de ce pervers narcissique reflètent son angoisse de la solitude. Assujettis à leur rejeton, les parents se serrent les coudes pour sortir de l’esclavage. Une complicité teintée de tendresse. Ils se réjouissent d’abuser des caprices du gosse : « On va le baiser, cet enfoiré. » Mais leur haine pour cet enfant indomptable les fait rêver de sa disparition. On n’échappe pas au cercle vicieux de la violence.
Remi De Vos se sent plus comédien que dramaturge : « Quand j’écris, je me mets "littéralement" à la place des acteurs. » Il indique le tempo de chacune des « Trois ruptures » et, jouant sur des changements de rythme, orchestre des échanges percutants. Les personnages tombent dans des quiproquos, patinent sur un mot ou une expression et s’excitent dans des joutes verbales. Mais paradoxalement, les répliques sèches, incisives laissent deviner leur fragilité.
Le couple lambda se déchire dans un univers anonyme : une table, deux chaises, une table à repasser... Dans une alvéole du mur, la présence symbolique d’un cactus. Le cadre intime du "Boson" facilite notre intégration dans cet intérieur banal. Du théâtre en chambre : les comédiens n’élèvent la voix que pour dominer l’adversaire. Dirigés avec rigueur par Bruno Emsens, ils exploitent les ressorts comiques de ces affrontements explosifs, sans tomber dans la caricature. Catherine Salée est désarmante de naturel. Il faut l’entendre envoyer sur les roses un époux qui voudrait : « le beurre, l’argent du beurre et le cul du pompier ». Les maris, qu’incarne Benoît Van Dorslaer, sont habités par des désirs sadiques effarants. Cependant, par son jeu subtil, il laisse filtrer la vulnérabilité de ces hommes qui perdent pied. Comédie grinçante, souvent très amusante, « Trois ruptures » n’étouffe pas l’humanité de ses personnages.
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