Avec pour cadre un navire à la dérive, Triptych s’inspire du cinéma en installant un immense projecteur/réflecteur permettant de suivre les changements de décor par les danseurs. Le plateau modulable, malmené, en proie aux caprices de la nature, renforce la sensation d’instabilité de l’ensemble du tableau. Des personnages piégés d’abord dans un couloir dont ils ne peuvent ouvrir les portes, ensuite dans une cabine balayée de coups de vent et pour finir dans un restaurant inondé évoquent certaines scènes de films catastrophe où les corps sont emportés tels des plumes par des forces incontrôlables. Que ce soit pour échapper à leurs contradictions internes ou aux désordres externes, les acteurs de cette incroyable épopée se voient projetés d’obstacle en obstacle, souvent ravalés au rang de marionnettes ou de poupées mécaniques. Corps disloqués, mouvements saccadés, soubresauts, contorsions, en défiant les lois de la gravité la compagnie a mis une point une esthétique gestuelle propre et immédiatement identifiable.
Fondée en 2000, la compagnie Peeping Tom (expression argotique signifiant voyeur) nait de la rencontre entre Gabriela Carrizo (Formée en Argentine, artiste associée au KVS, rôle de la mère dans « Kid » de Fien Troch) et Frank Chartier (« The Lost room » et « The hidden floor » avec le Nederlands DansTheater) pour l’adaptation de la pièce « 31 rue Vandenbranden » en ouverture de la Biennale de Danse de Lyon.
Avec une équipe de danseurs cosmopolite (Konan Dayot, Fons Dhossche, Lauren Langlois, Panos Malactos, Alejandro Moya, Fanny Sage, Eliana Stragapede e Wan-Lun Yu), à la fois créateurs et interprètes (les scènes sont bâties sur le vécu des artistes à partir d’un travail d’improvisations), ce sont des récits de vie qui se profilent au-delà des péripéties anecdotiques anatomisées avec une virtuosité défiant toute concurrence.
Fusionnant sur un même plateau réalité cauchemardesque et frustrations internes, Peeping Tom donne à voir une représentation abstraite des eaux troubles de notre personnalité et nous n’avons aucune difficulté à nous reconnaître dans ces élans de désirs, de peurs, de violence ou de surexcitation qui engloutissent notre maîtrise intellectuelle des choses. Triptych est un spectacle complet, captivant et interpellant, cocasse par la confrontation abrupte des tempêtes externes et des états d’âme sulfureux qui en dérivent.
En filigrane, se pose la question de l’avenir de l’humanité en proie aux chamboulements que nous connaissons tous.
Délectation et admiration à l’état brut.
Palmina Di Meo
Photo : Virginia Rota