Directrice du C.P.A.S., Françoise voudrait sortir Chemin-Fontaine de sa léthargie. Elle en a marre des concours de t-shirts boueux et des marches gastronomiques. Mais alors que le conseil communal est imminent, elle n’a rien à lui proposer, avoue-t-elle à Camille. Une institutrice singulière, qui fait chanter à ses élèves de maternelle des comptines sur les philosophes et qui organise des bricolages sur "L’Etre et le néant". Les pensées profondes, qu’elle cite avec délectation, n’apaisent pas Françoise. C’est Béatrice qui sera l’étincelle. Cette bibliothécaire opiniâtre a accumulé une énorme documentation sur les "macrales" de la région. La reconstitution du procès de Marie Faucon, la dernière femme brûlée pour sorcellerie, ferait un tabac.
Françoise et Camille se sentent concernées par le sort de ces femmes, dont le seul crime était de rejeter ce que l’époque leur imposait. Puisqu’on ne pouvait pas accuser Dieu d’être le responsable des catastrophes, c’est sur ces marginales qu’on s’acharnait. A coups de superstitions grotesques et de tortures raffinées. La lecture de ces atrocités est nécessaire pour donner du sens au projet. Mais elle s’étire un peu trop et l’on se réjouit de voir le trio passer à l’action. Gros blocage. Camille a l’étoffe d’une metteuse en scène, mais refuse ce rôle à cause d’une expérience douloureuse. D’une timidité maladive, Béatrice se sent incapable d’incarner Marie Faucon. Cependant l’enthousiasme balaie ces réticences et le spectacle s’impose.
Montant sur les tables du conseil communal, transformées successivement en prison, en bûcher ou en podium, les protagonistes, revêtues de bure, entament des danses sataniques. Comme les pseudo-sorcières, elles se libèrent de la pression d’une société trop cadenassée. Adaptant des chansons de Maxime Le Forestier ou de "Hair", elles expriment leurs frustrations, leurs désirs, leurs passions. Béatrice rêve du père qu’elle n’a jamais eu, Camille d’une société plus tolérante et Françoise baba cool, désabusée, se demande : "Ca sert à quoi tout ça ?" Rien de nostalgique dans ces bouffées des années 70, mais une confirmation que l’aspiration à la liberté et au bonheur traverse le temps.
Par ses tics, son zézaiement, ses contorsions, Caroline Lambert fait de Béatrice un personnage caricatural, qui donne d’emblée un ton burlesque à la comédie. Barbara Borguet (Camille) passe en souplesse de l’enseignante déjantée à la femme blessée et Anne Beaupain fait sentir que Françoise a de l’ambition, mais manque de confiance en elle. "Ensorcelées", les trois comédiennes débordent d’énergie et l’on regrette que le spectacle ne prenne pas plus d’ampleur. Evitant prétention, pathos et féminisme primaire, "Tout feu tout femme" défend joyeusement le droit à la différence. Un rappel utile, quand les crises déclenchent la chasse aux boucs émissaires...
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