Depuis plus de 15 ans, le Château de Seneffe pendant une partie de l’été se transforme en Tour de Babel. Venus du monde entier, des traducteurs littéraires viennent s’y retirer dans le cadre du Collège européen de traduction littéraire pour travailler leurs traductions d’auteurs de la Communauté française, pour rencontrer ces auteurs et pour échanger avec eux sur cet art si particulier de la traduction littéraire. C’est bien d’un art authentique qu’il s’agit, puisque la traduction est une création à part entière, une écriture dans une autre langue d’un texte existant, certes, mais avant tout une écriture nouvelle.
La remise du Prix de Traduction littéraire qui clôture chaque session du Collège a donné l’occasion à Françoise Wuilmart de souligner à nouveau la spécificité de l’art de traduire. On sait la passion de la directrice du Collège pour la traduction littéraire dont elle est non seulement une fervente avocate mais aussi une praticienne, saluée pour la qualité de son oeuvre par des prix aussi prestigieux que le Prix Ernst-Bloch en 1991, le PRIX ARISTEION (Prix européen de la meilleure traduction littéraire) en 1993, et le Prix Gérard de Nerval, mai 1996 (Prix de consécration décerné par la SGDL de Paris).
Françoise Wuilmart a choisi de rendre hommage à Henri Meschonnic, poète, linguiste, essayiste, théoricien du langage. Traducteur de la Bible, auteur d’essais magistraux sur la traduction (dont « La poétique du traduire »), poète lui-même (lauréat du prix Max Jacob et du prix Mallarmé) il définissait sa position ainsi : « "J’écris des poèmes, et cela me fait réfléchir sur le langage. En poète, pas en linguiste. Ce que je sais et ce que je cherche se mêlent. Et je traduis, surtout des textes bibliques. Où il n’y a ni vers ni prose, mais un primat généralisé du rythme, à mon écoute. La conjonction de ces trois activités a donné lieu pour moi à une certaine forme de pensée critique, à partir d’une transformation de la pensée traditionnelle du rythme à laquelle ont mené nécessairement ces trois activités, justement par leur conjonction. »
Henri Meschonnic est mort en avril de cette année. A n’en pas douter, sa pensée a trouvé dans l’hommage que lui rendit Françoise Wuilmart l’énergie impertinente des empêcheurs de traduire mot à mot.
Avant la remise du Prix de traduction, Jacques Darras et Patrick Quillier, tous deux poètes et traducteurs, se sont livrés à une double master class sur l’art de « traduire l’intraduisible : la poésie », titre sous lequel était placée la table ronde qui réunit les participants au collège de cette année, mêlés au public du Petit Théâtre de Seneffe. Jacques Darras a annoncé la lecture de « huit feuillets » qui sont devenus un flamboyant exposé sur la manière de dire en français le rythme particulier d’un « taureau qui danse » ! Quant à Patrick Quillier, il nous a donné à entendre la belle musique des deux langues qu’il traduit : le Hongrois et le Portugais (il est le traducteur des œuvres de Pessoa dans l’edition de La Pléiade). Il a proposé à l’auditoire une belle démonstration de ce qu’est aussi la traduction littéraire : un inachèvement permanent dont il faut répéter sans cesse l’acte de « tradouïr » le poème.
Quant à la lauréate du Prix de traduction littéraire, je vous propose de l’écouter évoquer au micro d’Edmond Morrel son expérience de traductrice d’œuvres aussi diverses que les nouvelles de Michel Lambert (un recueil de nouvelles belges sera publié en Letton en fin d’année), une comédie de Jacques De Decker (« Le magnolia » qui fut représenté au Théâtre National de Lettonie) ou Tintin…dont elle a traduit deux albums (« Les cigares du Pharaon » et « Le Lotus bleu ») choisis par l’Ambassadeur de Belgique et publiés en Letton à l’occasion de la visite d’Albert II…
NB : La couverture de l’édition Lettonne des "Cigares du Pharaon" qui illustre cet article est la propriété exclusive de © Moulinsart S.A. ou © Hergé ou © Casterman et est montré à titre de référence. ESPACE LIVRES n’est pas responsable de l’utilisation que pourraient en faire les visiteurs.