À l’école maternelle, il est Baloo dans le Livre de la Jungle. Le jour J, on lui donne une banane pour entrer sur scène, il la mange et, ne sachant que faire de la peau, il la lance dans le public qui s’esclaffe. Ce succès des planches – totalement inattendu - lui donne les premiers frissons de la gloire (?) et l’envie inébranlable de devenir comédien. Il devient instituteur pour plaire aux parents, mais un an après, il rentre à l’INSAS [1]. Une surprise l’y attend : un atelier d’écriture avec Michel Vinaver… Ce second déclic nous vaut déjà une bonne 15aine de pièces de sa plume… Il met en scène les premières… D’autres mises en scène suivent au Rideau et aux Martyrs. On lui doit aussi des adaptations remarquables et remarquées aux Martyrs. Enfin, comme acteur, il a joué dans une vingtaine de productions.
Puisque cette saison 2005-2006 verra la création de 4 pièces dans nos théâtres bruxellois (*), je voudrais axer cette interview principalement sur l’écriture : Y a-t-il une différence dans l’écriture de vos pièces d’inspiration personnelle, et dans l’écriture des pièces qui vous sont commandées ?
D’abord une petite précision : j’ai appris hier qu’on jouerait 5 de mes pièces cette saison, puisque Le Roi Lune est sélectionné pour le Festival d’Avignon 2006. C’est génial !
- Le Roi Lune : B. Van Dorslaer et J. Roy
Mais pour répondre à votre question, c’est pas tellement sur le principe de la commande, il s’agit plutôt de savoir si je pars d’un personnage qui a vécu, ou si je vais puiser dans mon imaginaire sans a priori quel qu’il soit. Lorsque je travaille sur un personnage comme Louis II de Bavière pour le Roi Lune ou George Sand, il y a toute cette période durant laquelle je lis énormément tout ce que je trouve à propos des personnages. C’est la période d’imprégnation, qui est passionnante, et qui est aussi la plus longue. Et c’est pour ça que j’aime beaucoup reproduire ce genre d’approche de l’écriture.
Et puis, par exemple, entre le premier et le dernier mot du Livropathe, il y a eu 7 ans et une réécriture de toute la pièce… Et là, c’est l’aventure… Je compare souvent l’écriture à un voyage : on peut voyager de différentes façons… Ou bien on programme tout, on sait qu’on va faire le tour des États-Unis et on a déjà réservé des hôtels… Ou bien on part… On sait qu’on va aux États-Unis, (À 18 ans, j’ai traversé les États-Unis en auto-stop donc la métaphore me parle bien) mais on ne sait pas du tout où on va aller et on est attentif aux rencontres, aux coïncidences qui nous entraînent ailleurs.
- Alexandre Tissot et Julien Roy
Dans le cas d’une commande, il y a quelque chose d’assez précis : Frédéric Dussenne m’avait demandé d’écrire sur Louis II, Patricia Ide avait envie de jouer une pièce que j’écrirais …
En bouquinant pour elle, je suis tombé sur cette étrange Mary Shelley. Et tout de suite, il y a eu une forme de mystère et une porte s’est ouverte sur l’écriture… Comment expliquer qu’une jeune fille de 19 ans écrit ce mythe de Frankenstein, cette histoire horrible ? Il y a là, un travail passionnant de découverte. Même si je me sers d’éléments biographiques très précis pour tenter d’expliquer, cela ne restera jamais qu’une interprétation de ma part. Fort heureusement, je permets encore à mon imaginaire de ne pas rester figé dans ce qui pourrait être didactique, historique, un peu poussiéreux. De toute façon, mon observation du personnage, c’est aussi la projection de mon univers sur elle…
Et en plus, dans le dernier cas de Mademoiselle Frankenstein, j’ai pu écrire en connaissant les deux acteurs choisis et je m’amusais à les placer dans des situations particulières pour voir comment ils allaient réagir ! C’était presque machiavélique.
Comment faites-vous pour avoir cette fluidité de langage, une apparente simplicité qui ne laisse pas entrevoir le travail, un dépouillement qui tient de l’épure ?
D’abord, le fait d’être comédien m’aide énormément. Lorsque j’écris, je pratique la langue : je la mâche, je la marche, je la mâchonne, je vois si elle fonctionne. Ensuite, lors de cet atelier d’écriture à l’INSAS, Michel Vinaver m’a énormément appris. Il y a chez moi un non-volontarisme lorsque j’écris. C’est-à-dire que je ne me fige pas. J’emmagasine beaucoup de choses, je lis, et puis les personnages naissent un peu mystérieusement, et ils vont puiser dans tout le matériel que j’ai collectionné, non seulement dans ma vie, mais aussi dans la documentation récoltée. Et puis, ils font peu à peu leur chemin, comme s’ils se servaient de l’acteur que je suis pour improviser. Donc c’est une curieuse alchimie
On dit que le meilleur outil de l’écrivain est sa gomme ?. Revenez-vous souvent sur votre texte écrit ?
Oui, mais ça dépend. De moins en moins. Donc la période d’écriture proprement dite à tendance à se raccourcir. En ce qui concerne les pièces « historiques », je gomme très peu, même si je ne travaille plus avec du papier et un bic et une gomme ! Par contre - je reviens sur le Livropathe - là j’ai carrément gommé 2/3 d’une pièce qui existait déjà. Jules-Henri Marchant m’a dit : « les 15 premières pages sont géniales, la suite ne tient pas ses promesses » et donc j’ai courageusement jeté tout … Et j’ai tout recommencé !
À côté du choc peau de banane, le théâtre vous a aussi offert le choc amoureux. Depuis lors vous vous êtes penché sur la vie de 2 femmes : Sand et Mary Shelley.
- Le livropathe : A.Vingtier et P. Laroche
Est-ce que cette rencontre a changé quelque chose dans votre écriture, votre inspiration, vos habitudes d’écrire, votre style ?
C’est-à-dire, George Sand était déjà…euh … à l’accouchement (rires). Oui, ça c’est effectivement une question merveilleuse ! J’avais créé un personnage Ava et, grâce à ce personnage, j’ai rencontré Anouchka, comédienne avec qui je vis ! Bien sûr, cela m’influence, parce qu’un écrivain permet à ses personnages d’aller puiser dans ses réservoirs d’émotions, donc forcément que tout ce que je vis se retrouve caché ou beaucoup moins caché dans mon écriture… Oui : la réponse est absolue et elle m’influence d’autant plus qu’elle est actrice. Évidemment, on a envie d’écrire pour quelqu’un que l’on aime, et donc petit à petit une idée vient sur un autre personnage qu’elle pourrait incarner.
On sait déjà qu’elle va rejouer dans votre prochaine pièce au Méridien Elle jouera en mai dans Le Jour de la Colère, d’ailleurs mise à nouveau en scène par Frédéric Dussenne. Ce sera notre 3ème collaboration, et on en prévoit une 4ème pour la saison prochaine au Rideau.
Darwin ?
Comment savez-vous déjà cela ?
Comédien.be est bien informé !
(rires) Incroyable ! Effectivement, ce sera « Darwin, le procès du singe »
Quand/comment savez-vous quand une pièce est finie ?
C’est comme un voyage. Il y a quelque chose d’instinctif qui se produit
Je ne suis pas quelqu’un qui travaille avec un plan précis, alors qu’il y a des auteurs qui ne peuvent pas démarrer une pièce avant qu’ils ne sachent comment elle se termine. Et tout leur art sera de nous surprendre malgré tout. Or, ils savent où ils vont, mais ils doivent eux-mêmes se surprendre dans ce voyage, sinon on sent trop la fin venir. En général, moi, je ne sais absolument pas comment mes pièces vont se terminer, et je suis parfois même très surpris par cette révélation, ce retournement de situation dont on parlait… Mais lorsqu’elle arrive, c’est instinctif et naturel.
Pour, Mlle Frankenstein, c’est très étrange, parce que je me trouvais en résidence d’écriture à Marrakech, et la première réplique de cette pièce est « ce qui nous faudrait c’est un orage, un bel orage à faire trembler le Diable lui-même » et à la dernière page, je fais arriver l’orage… Et au moment où je suis en train d’écrire la didascalie « L’orage se lève. On entend l’orage », eh bien, croyez-moi si vous le voulez, mais j’étais dans un jardin et l’orage s’est levé exactement à ce moment-là. Ce qui est absolument fou, d’autant que la pièce parle de ces coïncidences troublantes que l’on retrouve souvent dans la vie de Mary Shelley.
Quels sentiments éprouvez-vous lorsque vous mettez un point final ?
Il est vrai que de temps en temps, comme metteur en scène, j’ai poursuivi ce travail parce qu’une pièce n’est jamais achevée que lorsqu’elle est incarnée et lorsqu’elle passe l’épreuve du plateau – épreuve qui peut être redoutable ! Mais effectivement, depuis 5-6 ans, j’ai la chance d’être monté par d’autres, et là, j’ai la sensation d’être comme un père qui voit sa fille de 17 ans tomber amoureuse et partir quelque part. Oui, j’ai un peu ce sentiment-là avec mes pièces. Il faut que je les abandonne à leur sort, que je les confie à d’autres mains - en espérant qu’elles soient en bonnes mains justement – et, jusqu’à présent, j’ai eu beaucoup de chance parce qu’avec Frédéric Dussenne, et maintenant avec Véronique Dumont, je suis très heureux du travail que j’ai vu. Je n’ai absolument pas participé aux répétitions, je viens comme un spectateur. Le jour de la Générale, j’ai découvert Mlle Frankenstein.
De vos 3 activités, vous dites que celle de metteur en scène est la plus frustrante parce qu’il n’intervient plus quand le spectacle démarre. Que dire alors de l’auteur qui livre son texte à un metteur en scène qui – sans jeu de mots – la mettra peut-être en pièces ???
Avec les Directeurs, on est très prudent. Bien sûr, il y a de longues discussions pour savoir QUI va mettre en scène ? Donc, j’étais déjà rassuré en sachant que Véronique Dumont est quelqu’un qui a une très belle expérience de comédienne, qu’elle a déjà mis en scène, qu’elle a un univers tout à fait particulier que j’aime beaucoup. C’est vrai qu’on est très rigoureux sur le choix du metteur en scène et jusqu’ici, je n’ai pas eu d’expérience malheureuse. Peut-être qu’un jour, il pourrait arriver que je sois catastrophé par ce que je vois.
Non, l’auteur n’est pas frustré parce que la langue est immédiatement présente chaque soir, même si je ne suis pas là, et donc elle est en contact avec le spectateur. Bien sûr, le travail du metteur en scène est aussi présent, mais c’est plus subtil.
Vous avez animé des ateliers d’écriture…
Oui, j’ai été instituteur, et il y a de toute façon le désir de la transmission qui reste présent. Et puis, j’ai eu cette chance - à travers un atelier d’écriture - de travailler avec un homme qui m’a donné confiance dans le fait que je pourrais écrire aussi. À mon tour, la quarantaine venant, j’ai envie de partager cela : j’ai reçu et j’ai envie de donner. Ce que j’aimerais surtout, et qui ne s’est pas encore produit, c’est de faire un atelier d’écriture sérieux qui s’échelonnerait sur 6 mois ou un an, avec des rencontres ponctuelles…
Côté projets, revenons-en à Darwin. Un beau travail de recherches en perspective.
Ce n’est pas une pièce historique : le personnage de Darwin interviendra peut-être, mais il s’agit surtout de ce qui se passe aujourd’hui aux USA et sur ces fameux procès… Sur le retour à une grande forme d’intolérance et le mélange entre la science et la religion. Je ne sais pas si vous savez que les professeurs de biologie se sont vus obligés …
… de renier le singe. Oui, de renier le singe entre guillemets. C’est très intéressant par rapport à ce qu’on vit : le monde est en train de vibrer et l’obscurantisme refrappe à la porte…
Est-il vrai que vous travaillez sur un long-métrage ?
Oui, oui, parce que j’ai la chance d’être rentré à la FEMIS à Paris. C’est une école de cinéma, avec un cursus scolaire normal pour ceux qui veulent devenir réalisateurs ou pratiquer tous les métiers autour du cinéma. C’est un peu l’équivalent de l’INSAS, une école avec une grande réputation. En plus, ils ont un atelier ”scénario” qui dure un an, à raison de 1 semaine/mois. Il y a 3 phases de sélection, la première sur base d’un dossier personnel (CV, motivation, etc. + 2 synopsis !) Nous étions une bonne centaine à présenter l’examen pour la seconde sélection et en fin de course, nous n’étions plus que 21. Nous travaillons en 3 groupes de 7. Chacun va développer un scénario de long-métrage et être coaché par un maître d’atelier. Ce cours permet de rencontrer producteurs, réalisateurs et acteurs. Tous ces gens-là, ainsi que les 6 autres vont lire le travail en cours et réagir.
Il faut savoir que cette école est très chère et que j’ai pu m’y inscrire grâce à une aide à l’écriture du Ministère de la Communauté Française, aide qui m’avait justement été accordée pour développer le scénario d’un long-métrage. Donc tout allait dans le bon sens ! Voilà, je me suis lancé dans cette aventure tout à fait nouvelle pour moi et j’en suis très heureux.
- Yiphun Chiem
Je vous imaginais pouvant écrire un livret d’opéra, lorsque - nouvelle surprise ! - j’ai appris que vous aviez travaillé avec une chorégraphe cambodgienne sur son spectacle de danse ! Où vous arrêterez-vous ?
En effet. Il m’a été donné de rencontrer et de voir une ébauche de travail d’Yiphun Chiem, une chorégraphe qui a la particularité de mélanger la danse hip-hop et la danse classique cambodgienne, ce qui donne un résultat extrêmement surprenant. Or, je sentais qu’elle avait envie de raconter une histoire à travers ce spectacle. En fait SON histoire : Une enfant débarque du Cambodge avec ses parents en Belgique, découvre la danse hip-hop dans la rue et devient une sorte de petit mec, parce qu’il faut s’imposer dans cet univers-là… Et puis, vers ses 22-23 ans, elle redécouvre ses racines à travers la danse classique cambodgienne. C’est tout ce parcours initiatique qui m’intéressait. Je lui ai dit qu’il me semblait qu’elle aurait besoin de quelqu’un qui l’aiderait à construire la structure.
- Apsara - Tribal Sarong
Même s’il n’y a pas un mot, il y a quand même une histoire qui se raconte. Et c’est ainsi que ce spectacle : APSARA – Tribal Sarong est né. Il a été joué d’abord au Plan K, à La Balsamine, et maintenant, il tourne beaucoup, notamment en France. Ils y ont d’ailleurs remporté un concours important …
Je n’avais jamais travaillé avec une chorégraphe et j’étais très content de faire ce travail. …
Et sur la question « où vous arrêterez-vous ? » je ne m’arrêterai que quand je serai mort… Il est évident que j’ai besoin de rencontres nouvelles, j’ai besoin d’ouvrir des portes, j’ai besoin de ne jamais m’installer dans un ron-ron, j’ai envie de constamment découvrir… Voilà !
Pour ma part, aujourd’hui, je m’arrêterai ici en vous remerciant pour cet agréable entretien. On vous souhaite beaucoup de bonnes découvertes. Surprenez-nous encore souvent et, pour notre plus grand plaisir, faites-nous rêver
Propos recueillis le 13/2/2006 par Nadine Pochez
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