La petite salle du Théâtre des Martyrs accueille un décor particulier, qui n’est pas sans rappeler ces maisons abandonnées dont les meubles sont couverts de draps, pour ne pas dire de linceuls. Une table, un fauteuil, et un grand drapé qui descend des cintres et donne à la scène des allures de limbes. Dès que le public est installé, le noir se fait. La première image du spectacle nous dévoile une vieille marionnette qui se désole en regardant la neige tomber. Une vieille marionnette qui a déjà passé l’automne de sa vie. Alors qu’elle erre entre les voiles, une voix lui rappelle ce qu’elle fait là : elle doit jouer. Jouer un rôle mythique, dont elle ne veut pas. Et l’on comprend bien pourquoi : ce rôle est finalement celui de sa propre vie.
Le public est alors happé par le vide, les trous de mémoires et les angoisses de Tchaïka. Toute la mise en scène le rappelle. Des nappes sonores créant une ambiance planante jusqu’aux effets d’écho sur la voix, en passant par l’éclairage qui joue sur le clair-obscur. Si l’ombre, présence menaçante, est toujours présente, la plateau n’est jamais aphotique : les draps de coton prennent toute la lumière et la scène semble porter sa propre lumière. On suit la révolte de Tchaïka contre ce "nouveau théâtre" minimaliste, sa frustration de devoir se réinventer, on assiste à son désespoir face à sa solitude, à sa lutte contre les fantômes qu’elle se crée et qui prennent progressivement trop de place.
Sur scène, Tita Iacobelli donne vie à Tchaïka grâce à un jeu d’une infinie précision. Une véritable performance d’acteur ! Elle crée un dialogue avec elle-même tout en rupture, saute d’une voix à l’autre et arrive à se faire oublier lors des moments de colère de la marionnette. Elle offre aussi de très beaux moments d’émotion, derrière le masque en carton-pâte ou à visage découvert, et fait résonner La Mouette avec Hamlet. On devine en filigrane la Grande Question du théâtre : "Être ou ne pas être ?" Vaut-il mieux supporter et continuer, ou bien refuser et tout abandonner ? Un jeu sublime, tragique et touchant pour un thème qui l’est tout autant.
Pour aborder le sujet difficile de la vieillesse, Natasha Belova et Tita Iacobelli mettent en scène un ingénieux système de mises en abîme à répétition : une jeune comédienne (Tita Iacobelli) manipule une vieille marionnette (Tchaïka) qui, pour jouer son rôle (Arkadina), se recrée des partenaires à travers trois accessoires. Une peluche, un livre, un morceau de tulle rose, que la Tchaïka manie et met en place pour donner vie aux personnages de "La Mouette" : Konstantin, Trigorine (l’écrivain), et Nina, la débutante. Ce faisant, alors que Arkadina rencontre Nina, Tchaïka redécouvre Tita, son "âme de jeune artiste" et la fait apparaître. Et ce n’est qu’après une longue lutte, alors que Tchaïka, consciente qu’elle est une marionnette dont "la bouche ne s’est pas ouverte de toute la soirée", accepte de laisser une place (sa place ?) à Tita qu’elle trouve l’apaisement, et peut à nouveau faire voler sa mouette empaillée - beau symbole ! - sur un air de chachacha.
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