Autour d’une table, deux femmes et quatre hommes doivent décider du sort d’une maison vétuste. Discussion houleuse. On ne laisse pas la parole à celui qui dispose de l’objet-témoin. On en vient même aux mains. Antre de leurs souvenirs, cette maison lézardée s’effondre. Comme Mona, une des leurs, rongée par la maladie, que chacun tente de soutenir. Insensiblement le passé rejoint le présent et Mona intervient dans ces moments rejoués, comme personnage réel ou fantomatique.
Mona est faible : elle doit mieux se nourrir. Son amie décide de lui préparer un bifteck avec des haricots verts. Moue dégoûtée de Mona. Peu importe. Il faut qu’elle reprenne des forces. Un personnage irritable ne supporte pas que Mona garde la bouche ouverte. La bave qui s’écoule l’écoeure. Comme ses remarques n’ont pas d’écho, il emploie la manière forte. Avec sa cravate, il lui ceinture la tête, sourd aux protestations d’un témoin médusé par cette violence. Il manifestera la même impétuosité, en bouchant LE trou entre la cuisine et le débarras. Sans se soucier de la gêne occasionnée par cette "amélioration esthétique". Certains reprochent à Mona de monopoliser l’attention, de se laisser aller ou de s’enfermer dans un silence énigmatique. Elle est pourtant la seule qui puisse remettre le moteur en marche.
A travers ces efforts maladroits, les comédiens soulignent, avec beaucoup d’énergie, la difficulté de respecter la vérité de l’autre. Notre aide est-elle dénuée de calculs ? Ne projette-t-on pas nos propres besoins sur d’autres, qui n’ont pas le même vécu ? Le titre anglais "Take care" signifie à la fois "prendre soin" et "rester sur ses gardes à l’approche d’un danger". Les six protagonistes sont de bonne volonté, mais manquent d’altruisme et d’efficacité. La maison se dégrade. Faut-il retaper le toit, maquiller les trous ou vendre cette bâtisse délabrée ? Aucune décision. Ils peinaient à réconforter Mona souffrante, son cadavre alimente de nouvelles discussions.
Minée par un égocentrisme exacerbé, notre société exalte la victoire de l’individu : il doit l’emporter sur les autres, quitte à les écraser. Pour Noémie Carcaud, au contraire, "On se doit du soutien entre les membres d’une tribu, qu’elle soit familiale ou amicale." "Take care" s’efforce de nous en convaincre. Avec un handicap : nous cernons mal les protagonistes. Dans cette maison, témoin de leur jeunesse, ils retrouvent avec plaisir des bédés et des jeux de société. Mais leurs relations sont floues, souvent agressives. Prisonniers de leurs certitudes, ils sont incapables de s’influencer et s’empêtrent dans les maladresses. C’est l’échec qu’ils devraient voir dans le miroir que leur tend Mona. Très âpre dans les premières séquences, la pièce perd petit à petit de son intensité et débouche sur une intervention surprenante de Mona. Ce message apaisant, qui éclaire le prologue, prône un équilibre entre douceur et fermeté. On aimerait que "Take care" nous en fournisse plus d’exemples.
1 Message