Qu’elles sont loin les chères glorieuses au soleil, les années d’insouciance fertile, les rues grouillantes de monde affairé, les plages bondées de peuples heureux et dénudés, les salles de concert sold out, les théâtres pleins à craquer, les festivals débridés ! Disparus, les stades en liesse. Disparue, la foule, libre et sentimentale ! Disparus, les mots bleus de Christophe.
Et pourtant ce soir, le cœur du spectateur bondit enfin de joie, cette joie mêlée de perplexité, comme aux temps reculés de nos si joyeuses rentrées des classes. Le bonheur de vivre reviendrait-il à pas de loups ? Grâce à Thespis, goûterait-on à nouveau au plaisir des spectacles vivants après sept douloureux mois d’abstention ? Les artistes seraient-ils tout d’un coup ressuscités ? On remercie l’auteur de la pièce du fond du cœur qui appelle à la Rencontre . Aux retrouvailles entre public et comédiens en chair et en os.
Au théâtre du Parc hier soir, nous assistions à une Renaissance. On y croit de toutes nos forces, car sans les artistes, sans la culture, sans le lien vivant, nous sombrons tous dans une absurde morosité ou une très morose absurdité. Plus que l’oiseau noir, vénérons sans modération le phénix aux mille couleurs. La vie, tout simplement. L’oiseau bleu pour les grands sensibles.
C’est ainsi que le rideau se lève sur un directeur de théâtre cloué dans son Chesterfield couleur caramel, qui constitue à peu près le seul élément de décor. Au fond de la scène, on découvre les malles fermées où sont emprisonnés les accessoires et costumes de scène. Depuis avril 2020, le nommé Samuel Sherman attend le bon vouloir des autorités sanitaires pour ré-ouvrir les portes closes de son théâtre italien déserté. Son seul compagnon : un frigidaire des années 50... plein de surprises. La folie sera-elle au rendez-vous ?
Voilà son ami imaginaire : rien moins que Saint Ex, sanglé dans son habit d’aviateur qui va tenter tant bien que mal de remettre son alter ego en piste. Pas une mince affaire. L’acteur-directeur-manager osera-il jouer Hamlet ? Un vieux rêve. To play or not to play ! That is the question. Titre choisi par l’auteur pour cette comédie d’actualité. Le regard acéré de Thierry Debroux a pondu le texte en à peine une semaine de 4 août brûlant.
Car c’est le désespoir pour le monde oublié des artistes. Dans une fertile colère, l’imagination reprend le pouvoir ! Les chants les plus beaux sont les plus ... La pièce moque les étapes de la pandémie, fustige les temps présents qui virent à l’acide, à l’amertume des bulles réduites. Elle fustige les décideurs de la peur tous azimuts, elle jure de ranimer le rire sous le masque. Elle renoue les contacts humains, elle défait les nœuds de l’étouffement.
Bien que le virtuel nous guette, la visioconférence envahit le plateau. Chacun chez soi barricadé entre ses murs. 18 artistes aux noms prestigieux travaillent sous cloche. Par ordre alphabétique : Jean-Philippe Altenloh, Jacqueline Bir, Thierry Janssen, Anouchka Vingtier, et les enfants Ava Debroux et Lily Debroux. Et la participation amicale de Julien Besure, Ronald Beurms, Denis Carpentier, Jonas Jans, Nicolas Mispelaere, Thibault Packeu, Jean-François Rossion, Jérôme Vilain,…
Ils crèvent tous l’écran et son abcès d’inhumanité !
Daniel Hanssens lui est présent sur scène en directeur de théâtre alangui sur ce Chesterfield d’un autre temps, celui des roses et des soins jaloux à l’Autre, celui du regard essentiel du renard, celui des planches vibrantes d’énergie théâtrale. A ses côtés, Othmane Moumen, l’ami imaginaire, pétulant, sensible, généreux, never say never ! Le verre est certes plus petit mais il est rempli d’humour et d’émotion.
Que cette pièce courageuse soit le ferment de temps nouveaux et retrouvés.
Il faut apprendre à VIVRE normalement avec le virus. Et le reste est silence.
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