Mardi 12 novembre 2013, par Palmina Di Meo

THE SELFISH GIANT de Clio Barnard

De fer et de sang

Second film de Clio Barnard, The Selfish Giant est déjà un chef d’œuvre. Au delà des courants et des modes, un récit intemporel.
Sans pathos, ce long métrage de fiction dépeint les conditions sociales des couches les plus démunies du Nord de l’Angleterre. Il y est question de valeurs qui cimentent la survie comme l’amitié, la confiance, la loyauté. Son esthétique s’inscrit dans la plus pure tradition du cinéma social européen.
Grand Prix du Meilleur film au Festival de Gand, The Selfish Giant (Le géant égoïste) a été ovationné lors de sa projection à la Quinzaine des réalisateurs. Il concoure pour le Prix LUX 2013.
Bande annonce officielle : http://www.theguardian.com/film/video/2013/sep/16/selfish-giant-trailer-video

Clio Barnard est d’origine américaine mais vit en Grande-Bretagne. Plasticienne de formation, elle réalise un premier documentaire expérimental, Arbor, sur la dramaturge Andrea Dunbar. C’est au cours de ce premier essai qu’elle rencontre les deux ados qui vont inspirer son prochain film (Matty et Mickaël). Elle trouve son titre et sa seconde source d’inspiration dans une courte fable d’Oscar Wilde. La fin inattendue du film est manifestement imprégnée de l’allégorie rédemptrice de Wilde.

Ainsi naissent Arbor (Conner Chapman) et Swifty (Shaun Thomas), un duo de gamins dont l’un est le parfait complément et contraire de l’autre. Arbor souffre de troubles du comportement. Réfractaire à toute forme d’autorité, il est sujet à des crises de colère et de rébellion. Petit blondinet au regard fermé, il tente de subvenir au besoin d’argent incessant de sa mère qui les élève seule, lui et son frère drogué. Swifty est un garçon au caractère mou et au physique rondouillard. Il fait partie de la nombreuse progéniture d’un couple de « Gypsies ». La famille est depuis toujours victime du dédain et des insultes xénophobes du voisinage. Le père noie son inactivité dans le vin, la mère subit sans révolte.

Tous deux renvoyés de l’école, Arbor et Swifty deviennent complices dans la débrouille et tombent entre les griffes de Kitten (le Géant égoïste), un ferrailleur romanichel qui les initie au commerce de la ferraille et au chapardage.Selon la tradition tzigane, Kitten possède des chevaux. L’un d’eux, Diesel pourrait lui rapporter gros. Bien entraîné, il possède les qualités requises pour gagner une de ces courses sauvages organisées par les gitans sur les routes.
Kitten remarque le don naturel de Swifty pour apprivoiser les chevaux. Il projette d’en faire son driver. Mais cette ambition nouvelle de Swifty entrave les plans d’Arbor. Il craint de perdre son compagnon de route, lui qui ambitionne de devenir riche en volant des objets de plus en plus couteux comme des fils électriques…

Dans la veine de Ken Loach, tourné dans la périphérie de Bradford, cette fresque d’une population marginalisée par le chômage et l’endettement repose sur l’observation fine et sans jugement de la psychologie de ces deux jeunes, victimes de l’exploitation du plus faible dans un circuit commercial qui ne s’embarrasse d’aucun scrupule.

Le parti-pris de concentrer l’action sur la relation « d’associés » qui soude les deux adolescents et sur les plans qu’ils échafaudent, donne au film un rythme et une tension qui efface tout misérabilisme. Y affleure la recherche inconsciente de la figure paternelle et une reconnaissance exigée à cors et à cris, le tout noyé dans un paysage gris à donner froid dans le dos où se dressent telles des potences, des rangées de pylônes à haute tension.

Palmina DI MEO