Sylvia
« Sous l’emprise de la folie / Je suis éprise de ma tristesse », « Je désire les choses qui finiront par m’anéantir ». Les journaux de Sylvia Plath, une poétesse et essayiste américaine qui se suicida en 1963 à l’âge de trente ans, trahissent son état dépressif et sa confusion mentale. Le dramaturge belge Fabrice Murgia fouille ces documents tragiques en quête de l’âme de la géniale artiste. Le spectacle total Sylvia prend la forme d’un opéra pop original pour une chanteuse et quinze femmes, mis en musique par la pianiste et auteure-compositrice belge An Pierlé. S’appuyant sur son propre livret et s’aidant d’images filmées, Murgia brosse un portrait de Sylvia Plath jusqu’à l’étendre à d’autres femmes de lettres. Après l’opéra circassien Daral Shaga, la Monnaie présente ainsi un deuxième projet de théâtre musical de Fabrice Murgia.
Mardi 22 février 2022,
par
Yuri Didion
Spectaculaire
Une vingtaine d’artistes et techniciens, des décors qui changent à vue entre chaque scène, qui tourbillonnent autour des interprètes dans une chorégraphie complexe, de la vidéo et de la musique live, ... une chose est sûre, Sylvia ne fait pas dans la demi-mesure.
Avec ce spectacle, Fabrice Murgia nous présente la vie de Sylvia Plath, poétesse américaine écartelée entre son désir d’écrire et son rêve d’une vie de famille « parfaite », tension qui creuse une dépression déjà latente, jusqu’à son suicide à l’âge de 31 ans. L’exposé des faits biographiques se déroule sous forme d’un tournage cinématographique auquel on assiste en live tandis que le film réalisé est projeté simultanément. Le tout sur la musique du Ann Pierlé Quartet, tour à tour entraînante et inquiétante.
C’est carrément spectaculaire. La gestion d’une telle équipe, qui déplace les décors, filme, interprète, se change, etc donne un ballet millimétré très impressionnant. Mais ça l’est tant que finalement, la prouesse technique occulte complètement la narration : face à une telle débauche de moyen, mon œil de spectateur fut plus attiré par ce que "peut" le spectacle que par ce qu’il "raconte", et je n’en ressors ni ému, ni particulièrement choqué par la vie de la poétesse ou un quelconque propos.
Pourtant, les propositions ne manquent pas : le choix d’un chœur de femme pour interpréter la protagoniste pourrait nous raconter que c’est la vie de toutes les femmes et élever Sylvia Plath au rang de symbole ; la vidéo et l’écran détruit à la fin par ce même chœur, nous parler de ce qu’on projette sur le genre féminin ; la sélection d’un Ted Hughes - mari de l’autrice - parmi les membres du public, nous dire que n’importe qui peut être un Ted Hughes s’il n’y prend pas garde ; ... mais les choix d’une mise en abime (un spectacle qui montre le tournage d’un film qui raconte la vie de Sylvia Plath) et d’une mise à distance par la technique à vue bloquent l’identification aux personnages, et la seule émotion qui reste est celle qui vient des paillettes du show à grand budget.
Yuri Didion
Photo : Hubert Amiel
Lundi 1er octobre 2018,
par
Catherine Sokolowski
Chronique d’une passion dévorante
"Sylvia", c’est un concert, un opéra, du théâtre, du cinéma, c’est tout cela à la fois. "Sylvia", ce sont neuf actrices qui se partagent la vedette sous l’œil constant de caméras dirigées par Juliette Van Dormael. Mais c’est aussi un témoignage, celui d’une femme déchirée entre l’envie d’être reconnue comme poétesse et la volonté d’être une épouse parfaite. Un spectacle intense, émouvant, esthétique, magnifiquement encadré par la prestation envoûtante d’An Pierlé, accompagnée de trois musiciens. Précipitez-vous.
Les décors, mobiles, nombreux, soignés, apparaissent et disparaissent comme s’ils participaient volontairement au spectacle. Au-dessus de cette activité bouillonnante, un grand écran s’attarde sur certains détails, laissant au spectateur le choix d’assister à un film, à son making of ou encore à une pièce de théâtre. Les actrices sont aux aguets, constamment sous les feux de la rampe. Pas de temps mort dans cette superproduction dirigée par Fabrice Murgia, metteur en scène et directeur du théâtre National.
Le spectacle relate la vie de Sylvia Plath, née dans la banlieue de Boston en 1932, poétesse surdouée passionnée par l’écriture. Très vite, son univers est plombé : « Mourir est un art et je deviendrai une grande artiste », elle souffre de troubles bipolaires. Elle se marie avec Ted Hugues en 1956, écrivain lui aussi, qu’elle rencontre en Angleterre. Dépressive, elle se voit disparaître dans l’ombre de son mari : « écrire sans être publiée n’a pas de sens ». Confrontée à un dilemme, être une épouse modèle ou une écrivaine reconnue, Sylvia multiplie les tentatives de suicide. Elle sera internée et subira des électrochocs. Pour les féministes, Sylvia Plath symbolise la difficulté pour une femme de concilier vie conjugale et vie professionnelle, elle qui gagnait sa liberté au détriment de ses heures de sommeil.
La musique d’An Pierlé et de ses musiciens est le pilier de cette création. Magistrale, la pop envoûtante de la chanteuse se transforme avec les décors. Duo sur scène comme dans la vie, An Pierlé et son compagnon Koen Gisen font écho au couple Ted et Sylvia. Ils sont accompagnés par « Schntzl » (Casper Van De Velde et Hendrik Lasure) et assurent, à eux quatre, le rythme du spectacle.
Ayant découvert le journal intime de Sylvia, probablement censuré par son mari, Fabrice Murgia a décidé de mettre cette artiste à l’honneur sans avoir obtenu les droits sur ses écrits. Il s’en sort habilement, notamment en usant du droit de citation. Il règne comme une malédiction autour de la poétesse, puisque même après sa mort, son œuvre n’est toujours pas intégralement publiée.
Bien que techniquement fort complexe, cet opéra moderne se déroule avec fluidité. Synchronisées, les neuf actrices endossent tour à tour le rôle de l’artiste tout en assurant le déplacement des décors, éléments fondamentaux de cette scène très féminine. Un spectacle impressionnant sur tous les plans qui permet une nouvelle fois à Fabrice Murgia d’exceller dans un théâtre résolument innovateur. A ne pas manquer.
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