Mercredi 21 janvier 2009

Sur un nerf de famille

« Qu’est-ce qu’être parent aujourd’hui ? » ... Face à cette vaste question, Joël Pommerat tente intelligemment de faire émerger la réponse en chacun de nous, en nous livrant dix moments de vie criant de vérité. Ces instantanés, mis en scène de manière naturaliste par Thierry Debroux et portés par quatre excellents comédiens, sont autant de pistes de réflexion pour le spectateur, invité à saisir entre les mots toute la complexité de ces relations nouées.

Chacune des dix saynètes qui composent ce spectacle saisit quelques minutes de la vie d’individus. Ils sont à chaque fois confrontés à une situation dans laquelle la relation à leurs parents ou à leur(s) enfant(s) est déterminante. Evitant le piège de la caricature qui aurait consisté à nous présenter dix situations-types, Joël Pommerat nous soumet la matière brute, sans artifices, sans parti pris, comme un documentaire tourné sur le terrain.

On découvre ainsi la tristesse d’un père qui découvre qu’il est un étranger pour sa fille, la souffrance d’un autre qui n’est plus respecté par son fils, la démission d’une mère qui ne se sent pas suffisamment mère, l’amour narcissique d’une autre qui souhaiterait que sa fille brille autant qu’elle, etc. Chaque scène apparaît comme la partie émergée d’un iceberg, que le public tente de reconstituer mentalement, chacun à sa manière, avec son propre vécu. Les personnages eux-mêmes sont souvent dépassés par l’étendue des non-dits, par cette incommunicabilité inextricable dont ils sont prisonniers. Et les silences en disent alors beaucoup plus que les mots. Un texte tout en subtilité donc, mais dont le revers de la médaille est une certaine saturation vers la fin, à force de voir se succéder sans relâche ces bribes d’histoires souvent très chargées et tendues.

La mise en scène de Thierry Debroux est à l’image du texte : brute et sans artifices. Quatre cubes délimitent l’espace de jeu et servent de lieux d’attache à chacun des comédiens. Ces cubes semblent en équilibre instable, comme les individus qui seront successivement incarnés sur le plateau. Les quatre comédiens offrent à ce propos une prestation remarquable, passant d’un personnage à l’autre avec une aisance et une justesse impressionnante. Claude Semal en particulier transforme littéralement la matière de son corps, pour passer par exemple d’un vieil homme malade à un quadragénaire sportif. Notons également les transitions musicales de Massive Attack, un choix judicieux pour exprimer la tension lancinante, sous-jacente à ces relations complexes. Les spectateurs, disposés de part et d’autre de la scène, sont partie prenante du spectacle, comme des témoins venus écouter leur propre histoire… Une histoire où l’on souffre, sûrement, mais où l’on se construit aussi, où l’on avance et où l’on aime.