Sur le plateau, des musiciens-acteurs. Une ambiance qui rappelle de loin celle d’un club de jazz, mais que l’on verrait de jour, en pleine lumière.
Quelques détails rouges, semés sur scène, rappellent Billie.
Billie, photo noir et blanc et soulier de satin flamboyant sur piano à queue, présence permanente, dans les notes et les images, extraits vidéo ou corps drapé d’une jupe couleur sang, et dont le parcours de vie est narré au début de la pièce, par un Achille Ridolfi sarcastique.
Les moments chantés alternent avec les moments parlés, quelquefois légers, quelquefois terriblement prenants, tel ce « souvenir » de l’enfant Mpunga, pendaison punitive au Congo…
L’utilisation de la vidéo rend terriblement présents l’époque et la violence de la ségrégation.
La musique et les mots, tantôt doucement chuchotés, tantôt hurlés, sono poussée au maximum, enveloppent les spectateurs, s’insinuent dans les corps, les électrisant ou les glaçant, les chaloupant ou les berçant.
Un bémol à la partition : les moments chantés portés par Fanny Marcq sont tous littéralement gueulés, et on se surprend à désirer plus de reliefs, de couleurs dans son jeu que l’on qualifierait volontiers d’hystériquement déjanté. Par contre, le jeu classieusement maîtrisé de Florence Minder dénote à merveille, apportant les couleurs absentes de la partition de sa consœur de plateau…
Au final, les effets sont donc bien « balancés ». On sort de là comme après un documentaire qui nous aurait pris aux tripes, les oreilles pleines de jazz, titubant entre confort musical et violence de la vie, entre univers feutré et société vidée de son humanité. Un parcours que d’aucun jugeront trop doux face à la violence du propos, mais qui a le mérite d’exister, entier, superbe musicalement et plastiquement, techniquement sans faille.
« Etrange et amère récolte », les derniers mots de Strange Fruit, Billie en écran bicolore sur fond de scène, résonnent encore longtemps après les derniers applaudissements, comme un « n’oubliez pas » adressé à un public enthousiaste.