Des gradins, placés en dispositif quadri-frontal, installent le public face à face. À mesure que les spectateurs s’installent, ils s’observent du coin de l’oeil, apostrophent l’ami arrivé en retard, saluent une vieille connaissance assise de l’autre côté de la scène. Celle-ci, au centre du dispositif, est recouverte d’un épais tapis de gymnastique noir. Dans un coin se tient un musicien, avec tout son matériel. Aucun décor supplémentaire. Et à priori, aucun costume : le vêtement n’est pas ici le signe extérieur d’un personnage, il est pensé suffisamment neutre pour pouvoir devenir tout. Un dépouillement esthétique qui sert de tremplin au travail poétique des artistes et à l’imaginaire de la salle.
"Strach : a fear song", c’est beaucoup de chose à dire, avec trop peu de mots disponibles. Il y a un travail circassien, un art parfaitement maîtrisé, avec des voltiges folles qui font sursauter l’assistance et une fluidité qui donne l’illusion de la simplicité. Il y a une recherche interdisciplinaire aussi, une rencontre entre le cirque et l’opéra. Il y a quelque d’étrange, de surprenant, et de naturel. C’est un spectacle unique, dont on n’a pas encore l’habitude mais qui réussit un des plus grand défi de l’art : faire rêver ensemble. Hourra ! donc, pour Patrick Masset (mise en scène), Julie Calbete (chant), Jean-Louis Cortès (musiques), Airelle Caen (voltiges), Denis Dulon et Guillaume Sendron (portés), qui entraînent leur public dans les ombres de l’inconscient avec justesse, maîtrise, et talent et lui permettent d’affronter collectivement la peur.
Au long des séquences, on retrouve donc plusieurs cauchemars : le monstre tapi dans l’obscurité, la mort, la chute. Mais d’autres peurs, plus discrètes, se glissent aussi dans cette fresque globale : la peur de l’autre, du contact, de l’inconnu, d’essayer des choses nouvelles, ou de se confronter à un obstacle, de se ridiculiser en public, la peur de se battre pour y arriver. Arriver à quoi ? C’est là toute la force de "Strach" : il ne dit pas, il montre, et laisse chaque spectateur faire son propre chemin. Une oeuvre onirique donc, dont on ressort plus riches, plus sensibles, plus forts aussi, sans doute. Un spectacle qui donne envie de relever tous les défis.