Une porte ouverte au fond du plateau laisse entrer un rectangle de lumière. Le danseur apparaît dans l’encadrement de la porte, adresse un regard appuyé au public comme pour demander la permission, de pénétrer sur le plateau, de prendre la parole et le geste. Claudio Bernardo s’adresse au public pour lui décrire son parcours et s’interroge sur le métier de chorégraphe (littéralement : celui qui écrit la danse). « Le chorégraphe écrit avec le geste et bâtit des bibliothèques à l’intérieur des gens qu’il touche. »
Ne à Fortaleza dans le Nordeste brésilien, Claudio Bernardo découvre très jeune, en voyant ses parents danser, que la danse est « un labyrinthe rempli d’amour ». Il entame des études de danse à Fortaleza puis à São Paulo avant de rejoindre la compagnie de Victor Navarro à Rio de Janeiro. En 1986, il reprend des études à Bruxelles, à Mudra, l’école dirigée par Maurice Béjart. Ce dernier apprenant que son élève a créé, avec d’autres étudiants et après les heures de cours, une chorégraphie, il lui demande de voir le résultat de son travail. Le verdict : « très bien, le monde a besoin de chorégraphes ». Il suit le grand Maurice à Lausanne pour poursuivre sa formation de chorégraphe. En 1989, il revient en Belgique où il travaille avec Frédéric Flament lors d’une résidence à l’Atelier Sainte-Anne avant de créer sa propre compagnie As Palavras, les mots en portugais. Il explique que « la danse m’a donné la possibilité de penser le monde avec une certaine distance et de le traduire en mouvement ce que les mots en langue étrangère ne pouvaient faire ».
Mémoire
Claudio Bernardo émaille cette conférence dansée d’extraits de solos revisités, comme des jalons d’une mémoire en perpétuel mouvement. Son parcours de chorégraphe se révèle peu à peu au travers d’archives vidéo, de photographies, d’enregistrements sonores. Tout au long du spectacle, il saisit, une à une, les couvertures qui jonchent le plateau. Les plie, les range, comme pour mettre de l’ordre dans ses souvenirs, ses émotions. Il convoque des auteurs qui l’ont inspiré, marqué - Kafka, Pasolini, Rilke, Tournier -, le photographe Salgado et une certaine image de son berceau brésilien ou le troisième impromptu de Schubert qui résonne comme une madeleine de Proust. Il s’ouvre, se livre, intime et pudique, au point que parfois sa voix s’efface.
Créé à l’occasion du vingtième anniversaire de sa compagnie, « Só 20 » (seulement 20) fait référence à une une lettre qu’une femme de 10 ans son aînée – Stella de Mello – lui avait adressée à Rio l’année de ses 20 ans, celle où il a décidé de quitter le Brésil pour gagner Bruxelles. Cette lettre, dont les mots sont toujours vivaces aujourd’hui, évoque l’éloignement, la séparation, l’amour, la danse et l’amour de la danse. « La danse est une éternelle vérité », dit-il.
Poétique et ludique, « Só 20 » est un spectacle empreint de grâce, d’humilité, de partage et d’amour qu’il est urgent de découvrir ou de redécouvrir.
« Só 20 » de et avec Claudio Bernardo jusqu’au 21 décembre au Théâtre Varia à Bruxelles, 02/640.35.50, www.varia.be.