Vendredi 14 septembre 2007

Silence ! On tourne !

Les Fines bouches est une pièce jubilatoire qui invite à une renaissance par le silence. Le silence au théâtre ? Périlleux !

Une fiction ordonne la pièce. Dans une ville, les pouvoirs publics ont mis à la disposition des citoyens un lieu où jouir du silence et du temps qui passe. Le décor dessine habilement un sanctuaire dépouillé, forme moderne et non mystique du zen. Il nous situe quelque part entre la cabine de bateau, d’UV et le cocon. C’est alors tout le théâtre qui devient ce lieu protégé du monde, microcosme idéal, île édénique.

Deux hommes, Adam et Eve revisités, goûtent à ce paradis perdu, échappent au stress de la vie moderne. On pourrait se reposer dans ce silence, mais force est de constater que la majeure partie du public ne le supporte pas, rit, chuchote, s’impatiente. Que ça parle enfin ! Que la pièce commence ! Public coupable a posteriori, lorsqu’on apprend qu’en ce lieu la règle était le silence absolu. Public tentateur qui voudrait bien que les acteurs croquent la pomme. Quand surgit sur scène un personnage volubile, les spectateurs se détendent, soulagés. Leur représentant est intervenu. C’est la Chute, l’intrusion du serpent. Mais ce valet de comédie est intolérable. Car ce lieu protégé n’est jamais que le reflet, le miroir condensé de notre monde. De la tolérance au désir d’éliminer l’autre, les personnages y font, tableau après tableau, le difficile apprentissage du vivre ensemble. Jubilatoire apprentissage, où le lieu de la retraite éveille à la conscience et à la vie. Seuls ceux qui font trop la fine bouche s’y cloîtrent comme en un tombeau.

Le texte ose un pari risqué : il se destine à un large public, et les questions abordées sont à la fois sociales et métaphysiques. Il se situe au carrefour de plusieurs genres, et cède quelquefois, à notre grand regret, à la tentation de la comédie de mœurs et du théâtre didactique. Mais il est servi par une mise en scène intelligente et audacieuse qui ne renie ni son potentiel comique ni l’expression du malaise existentiel, et des comédiens généreux. Bernard Cogniaux, Christian Labeau et Alexandre von Sivers se régalent de leur partition. Ils savent jouir de leur présence ensemble sur un plateau, et semblent s’amuser comme des fous, sans faire la fine bouche.