La maladie réelle ou imaginaire vous pourrit la vie. Un homme cherche une oreille accueillante, pour préciser "ce qui ne va pas". Son interlocutrice l’envoie promener, bien trop préoccupée par ses problèmes de tuyauterie. Témoin de la mort de son ami Paul, un hypocondriaque tente d’éclairer les circonstances de cette embolie pulmonaire. Au terme de ce récit embrouillé, il se sent de plus en plus oppressé... Souffrant de "gigite", un patient subit le discours angoissant d’une "spécialiste des généralistes". L’égocentrisme, qui émerge de ces sketchs, est pris pour cible par un pseudo-humaniste. Sournoisement, celui-ci accuse la malheureuse embourbée dans ses petits problèmes, de négliger la faim dans le monde, le réchauffement climatique et les menaces de guerre nucléaire.
L’auteur prend plaisir à développer des situations surréalistes. Dans une salle de théâtre, une spectatrice prend un professeur de S.V.T. pour un acteur et le félicite chaleureusement. Celui-ci proteste contre la confusion. Peine perdue. L’admiratrice enthousiaste se gargarise de formules ampoulées pour saluer le chef-d’oeuvre. Colère froide du prof : il a horreur du théâtre et s’est fait chier pendant plus de trois heures ! Un citoyen est élu président de la République par tirage au sort : le seul mode de scrutin qui garantit les chances de chacun et de chacune. Perplexe, son amie souligne son incompétence en politique. Faux problème : le Président aura "des conseillers ad hoc". Convaincue, la copine se montre ambitieuse et exigeante.
L’humour de Grumberg devient grinçant, quand une glissade de "Et toi" à "Etoile" rameute les fantasmes de l’holocauste. "Son rire fait réfléchir et lui permet de remonter la pente du désespoir." (C. Roy). Il aime aussi se moquer du politiquement correct. Traité de malpoli par une dame qui lui reproche de ne pas l’avoir remerciée, alors qu’elle lui tenait la porte, un rustre l’accuse de racisme : "Tout le monde me déteste, parce que je suis nègre". Devant les dénégations de la femme, il précise "nègre à l’intérieur" et il l’illustre par son comportement.
Le dispositif scénique, choisi par la metteure en scène Emmanuelle Mathieu, est simple et efficace. Deux éléments pivotants permettent de distinguer les séquences, tout en les enchaînant souplement. Les comédiens ne sont pas prisonniers d’un type de personnage. Cependant Pascal Racan mise régulièrement sur son gabarit pour impressionner son adversaire. Face à cet ours souvent mal léché, Marie-Paule Kumps se montre coriace, mais apporte aussi une note de fantaisie et de tendresse. Elle surgit comme un pantin malicieux, puis nargue le râleur qui déteste les muets, les aveugles et les chiens, en grattouillant sur sa petite guitare "Les Copains d’abord". La virtuosité avec laquelle ce duo de grands acteurs maîtrise des dialogues truffés de quiproquos et de jeux de mots est un atout majeur de ce spectacle pétillant. Comme Raymond Devos ou Jean-Michel Ribes, Jean-Claude Grumberg s’appuie sur l’absurdité des situations et la stérilité des conversations, pour nous faire éclater de rire. Un rire utile qui ébranle les certitudes et défie la bêtise ambiante.
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