Quelle a été ta première rencontre avec le texte ? Ce projet vient-il de toi ou est-ce une proposition du metteur en scène ?
Sur les conseils d’une amie j’avais déjà lu le roman quand Roland ( Mahauden, le metteur en scène , ndlr) m’a proposé d’en faire l’adaptation. Pour moi, ça a vite été une évidence, ce texte était fait pour le théâtre. D’autre part, je suis très intéressé et je connais bien le monde de la littérature arabe et africaine. Le roman d’YB a de réelles vertus pédagogiques que j’ai eu envie de défendre. Entre autre, il différencie les musulmans des islamistes, chose qu’il est important de rappeler aujourd’hui.
Quelles ont été les difficultés de l’adaptation d’un roman à un one man show ?
Ca a été plus difficile que prévu. A priori, Kamel est un personnage facile à aborder, c’est un jeune de banlieue qui va se prendre la vie en pleine gueule : il se fait avoir par les medias, par les femmes, et finalement par son Imam. Il est naïf… La première difficulté se place au niveau du rythme. Il fallait qu’il soit juste pour dire en quelques mots ce que l’auteur dit en plusieurs pages. Ensuite, il y avait le problème de la triple mise en abîme : je joue la vie d’un gars qui raconte à son public son propre stand up !
Quelles libertés te permets-tu par rapport au texte ?
Je reste fidèle aux propos de l’auteur, dans ses mots que je me réapproprie. Je me permets des libertés entre ses mots à lui, même si je tiens à ne pas changer le sens du texte ; j’intercale juste quelques jeux avec le public. C’est avant tout une question de respect de l’auteur. J’avais aussi besoin d’un cadre solide pour trouver le rythme du personnage et m’accorder ensuite quelques libertés. Par exemple, je me suis plus « lâché » sur OneHumanShow, parce qu’il s’agissait d’un de mes textes. Ce spectacle devait durer une heure et demie mais en fonction du public, j’en arrivais parfois à jouer plus de deux heures.
Ayant toi-même mis plusieurs spectacles en scène, comment abordes-tu le travail quand tu es comédien. Participes-tu à la mise en scène où te laisses-tu guider ?
J’ai des défauts mais une de mes qualités c’est d’être hyper disponible pour le metteur en scène. On a trouvé un bon rapport de confiance qui nous a permis de tester des choses. Roland ne m’a obligé à rien. Si je ne le sentais pas, on ne le faisait pas. De toute façon, pour moi, un comédien est forcément un peu metteur en scène et a besoin de garder un avis critique. C’était donc un vrai travail à deux. L’important pour nous était de conserver l’intention d’YB en respectant ses mots. En règle générale, ce qui n’est pas précis, j’aime pas !
La scénographie du spectacle est-elle un simple appui de jeu ou a-t-elle une signification particulière ?
Pour trouver un univers on a testé pleins de trucs, notamment la vidéo. Finalement on est resté sur l’idée d’un décor tout en blanc. Cela créait une distance par rapport au spectacle : pas de fond noir comme d’habitude. Cela permettait de signifier qu’il ne s’agit pas de mon stand up mais bien de celui de Kamel. Réalité, rêve, ou matrice, chacun choisit où il situe l’histoire de mon personnage.
Penses-tu que « Allah superstar » puisse être joué au Maroc ?
Non, ni en Algérie d’ailleurs. Ce spectacle est un miroir trop direct, il aveuglerait plus qu’il ne reflèterait. Quand tu es dans ta vérité et ta certitude tu n’entends pas la critique extérieure, tu ne peux pas tolérer une autre vision des choses. Si YB a dû quitter l’Algérie c’est justement parce qu’il n’avait pas la liberté de monter ce genre de spectacle. Les artistes sont souvent les premiers condamnés parce qu’ils dénoncent des réalités, ils sont pertinents, ils projettent un mode de vie qu’ils transposent dans leur spectacle pour transgresser et remettre en cause l’ordre établi.
Dans tes dernières pièces : « Allah Super Star », « Gembloux », « OneHumanShow », tu sembles vouloir faire passer des « messages ». Ta conception du théâtre est-elle forcément engagée ?
A travers mes spectacles, je pose des actes sociaux et politiques. Je suis un artiste « dégagé » plus qu’engagé parce que engagé ne veut pas dire grand-chose. Je ne quitte pas le sens du regard, ni du cœur ni de la tête.
Quelle idée voudrais-tu que les spectateurs retiennent du spectacle ?
PENSER. Ne pas dire aux gens ce qu’ils doivent penser mais les inciter à le faire.
L’humour d’ « Allah superstar » peut paraître « grinçant ». Prôner la tolérance par la provocation est-elle une méthode efficace ?
Pour moi il n’y a pas de limite à l’humour. Je vais re-citer Desproges : « on peut rire de tout mais pas avec n’importe qui ».
La provocation n’est pas spécialement ma méthode. Je refuse simplement la norme et suis tourné vers le futur. J’aime ce qui est subversif, ce qui fait bouger les choses. Le théâtre est un art vivant qui doit rester actif !
Propos recueillis par Anne Anton i, Elfie Dirand, Manuel Harauchamps et Alexandre Lévy.
Photos de Stéphanie jassogne