Un programme résolument germanique, à la confluence de deux univers esthétiques : Felix Mendelssohn (1809-1847) et Franz Schubert (1797- 1828). Nous avons eu à cette occasion le plaisir de découvrir un très brillant pianiste : Martin Helmchen dont la virtuosité virevoltante et le style naturel très expressif vous font vite chavirer.
Son Capriccio brillant en si mineur miroitait de couleurs intenses. Sa première page musicale anime les pizzicati de la marée de cordes présentes sur la scène. De la rêverie il passe à la fougue juvénile et l’orchestre emballé enchaîne à la fois dans la délicatesse et la magnificence sous la conduite d’un chef d’orchestre invisible, car il dirige caché au public par la levée du couvercle du piano. Vigueur et vitalité concluent le premier mouvement. Un thème romantique fleurant jardins et cascades revient et l’instrument reçoit les assauts de la passion, puis les caresses du cœur du pianiste dansant de joie. C’est l’orchestre seul qui fait briller les derniers feux du bouquet final.
Le concerto pour piano N°1 en sol mineur démarre presque aussitôt par une ouverture spectaculaire. De la dynamite …avant de sonder la profondeur du sentiment. Le pianiste semble envoûté par sa partition et gazouille avec les cuivres. L’armée de cordes violoncelles et basses à gauche du public, trace des routes aériennes en forme d’arcs vibrants et sonores. Le pianiste n’est plus envoûté, il est possédé par sa musique. Ses accords vigoureux ont la chaleur de matière en fusion. Mas à l’appel des cuivres, le pianiste se transforme en figure angélique. L’ange aux boucles châtain ferme les yeux et inonde son visage et ses mains de grâce musicale. Un très beau moment. Les sonorités de l’instrument oscillent entre des discrétions de velours à peine murmurées et de larges pans de passion très palpables. On retient sa respiration. C’est la paix du monde qui respire. Dans le dernier mouvement, Molto allegro e vivace, le virtuose semble faire perler les notes sous ses doigts comme s’il s’ébrouait dans l’eau. Le voilà qui s’arrête, il a touché le cœur du mystère, s’illumine et signe sa victoire de manière scintillante. Son bis ? Un prélude de Bach. Les visages des instrumentistes sont nimbés de lumière et d’admiration pensive avant que ne recommencent les applaudissements.
La symphonie n°6 de Schubert dont Philippe Herreweghe tient magistralement les rênes ne décevra pas même si elle se passe de pianiste ! Tapi comme un jaguar, Philippe Herreweghe continue son minutieux travail de ciselage, si efficace dans la première partie du concert. Allégresse, précision des traits, fluidité et netteté des dialogues soulignent l’élégance de la musique et célèbrent la fête de l’ascensionnel et du spirituel. Une fête sylvestre pour l’œil ou l’oreille avertie ? Des rythmes de jeux qui fusent de toute parts avant le dévoilement nostalgique dans l’Andante. Dans le dernier mouvement, la part est belle aux percussions et aux cors qui se saisissent de notes lancinantes doublées par les bois et autres flûtes claironnant à qui mieux mieux. Le chef d’orchestre invite des guirlandes musicales, allume des feux, éteint des incandescences, organise son petit peuple musical avec le charme et la légèreté d’un farfadet bondissant. On est loin de la mélancolie dans ce final Allegro moderato enjoué. Après des rappels nombreux, les spectateurs quittent la salle en déplorant qu’elle ne fût pas mieux remplie ! Quelques heures de très grand bonheur… que l’ensemble ira porter deux jours plus tard à la cathédrale de Laon pour l’ouverture de leur 25e festival de musique. Encore des spectateurs heureux en perspective…
Dominique-Hélène Lemaire