L’humidité, le froid et, surtout, le poisson qu’il faut chaque jour remonter dans d’immenses filets, trier, pour ensuite vendre à la criée, les longues journées de brouillard passées bloqué au port sans pouvoir aller pêcher son gagne-pain. MARE NOSTRUM nous plonge dans un univers que peu de ses spectateurs Bruxellois auront eu l’occasion de côtoyer, de près ou de loin. Mais très vite, dans l’atmosphère visqueuse de ses fonds de cale, survient un événement dont l’horreur nous est déjà plus familière : des corps de migrants encore frais, bien qu’ayant partiellement subi les ravages de l’eau salée et la voracité des poissons, s’engouffrent, par dizaines, dans les filets du chalutier.
Rapidement la décision est prise : les corps sont rejetés à la mer sans un mot, pour des raisons économiques. Dés le lendemain, ils reviendront s’empêtrer dans les même filets pour être à nouveau jetés aux poissons, dans un cercle vicieux qui durera plusieurs mois.
Comment, dés lors, gérer la culpabilité, supporter le poids de ses actes ? Sur un plateau sombre, confiné et souvent humide, les gestes mécaniques s’enchaînent. Au travers de chants collectifs, de leitmotivs et de rituels, le groupe fortifie sa décision, renforce sa conviction d’avoir fait “le bon choix”. S’opposant vainement à cette force écrasante, lisse et sans émotions, les journaux de bord des quatre membres d’équipage, plus intimes, dévoilent les vents contradictoires qui agitent leurs réflexions individuelles. Mis chaque jour face à la réalité de leurs actes, à ces corps de plus en plus déformés qu’il leur faut sans cesse trier avec plus de minutie pour ensuite les repêcher le lendemain, la raison s’étiole et laisse apparaître chez l’un la culpabilité, chez l’autre la violence.
La question migratoire, bien-sûr, sous-tend toute l’intrigue théâtrale et, si le destin tragique des migrants est souvent évoqué, avec les mots crus de pêcheurs peu habitués aux fioritures, les corps n’apparaissent jamais physiquement en plateau. Toujours palpable cependant, la réalité de la migration, son atrocité et le traumatisme qu’elle porte en elle sont sans cesse rappelés aux spectateurs au travers des réactions de plus en plus extrêmes des membres de l’équipage.
La force de MARE NOSTRUM réside dans la volonté du Collectif Le Groupe Sanguin de conserver dans le jeu toute l’individualité des comédiens, mettant ainsi en exergue le rapport de force qui s’installe entre des individus, leurs personnalités et la puissance mécanique du groupe dont l’action collective s’abat comme un immense bras de fer sur les volontés qui l’entourent.
Amateurs de sensationnel, passez votre chemin. MARE NOSTRUM nous invite dans un univers ou le temps, c’est de l’argent et où l’on travaille plus vite lorsqu’on se tait. Dans cette tension constante qui rappelle par moments un huis clos marin, le silence règne en maître. Mais il n’y a nul besoin de grands discours pour comprendre que les problématiques qui traversent la pièce dépassent de bien loin les cloisons de métal d’un bateau.