Dieu a commandé un costume trois pièces. Quand le tailleur vient présenter la facture, le majordome de Dieu l’accueille avec une froideur hautaine : "Malheur à qui impose son arrogance à l’intendant de Dieu, jamais il ne franchira les portes du paradis." Et puis la glace fond doucement. Le tailleur appâte l’intendant en lui offrant de succulentes côtelettes, une Vierge scintillante (qui clignote !) et fait miroiter des affaires juteuses : un de ses fils travaille dans la restauration, un autre dans la construction... Entre gens de bonne compagnie, on peut toujours s’arranger.
Question magouilles, sa fille n’a rien à lui envier. En manipulant habilement l’intendant elle obtient la mobylette, que son père lui refusait et un job d’assistante. Rêvant de devenir la nouvelle sainte Huguette, la mère du tailleur fait aussi pression sur le majordome, qui lui promet d’être canonisée de son vivant. Mis en confiance, celui-ci se lamente sur la situation de la firme céleste. Il est passé le temps où l’on transformait les petits Noirs en êtres humains par le baptême et où les problèmes de pédophiles se réglaient en interne. Les églises se vident, les fidèles deviennent radins. On délocalise la fabrication des hosties en Chine ! Une occasion de rebondir : le congrès des religions monothéistes. Relooké, Dieu y participe, entraînant le quatuor à Jérusalem.
L’écriture de Jean-Marie Piemme brille par son élégance et son humour caustique. On savoure le parfum biblique de citations revisitées et la verve insolente de certaines répliques nous fait éclater de rire. Interpellé à propos d’un négationniste, trouvé dans un paquet d’intégristes, le Saint-Père s’exclame : " Evidemment qu’il y a un facho chez les intégristes, il n’y a même que ça, mais qu’est-ce que ça peut me foutre, moi, tant qu’ils ne sont pas pédés !" En mêlant Dieu à l’intrigue, l’auteur échappe au réalisme. Décalage renforcé par les costumes, les maquillages et les prothèses qui déforment les acteurs. Comme le clown blanc et l’Auguste, l’intendant et le tailleur interpellent directement le public. Leurs échanges tournent en dérision une Eglise qui se bat pour conserver ses parts de marché et redorer son image. Comme une multinationale en péril.
Dirigés avec précision par Philippe Sireuil, les comédiens rendent cette farce pugnace et tonique. C’est avec une grande maîtrise qu’ Alexandre Trocki révèle que, sous le masque sévère du majordome soumis, se cache un homme sournois et revanchard. Yoann Blanc souligne l’opportunisme du tailleur, tout fier d’importer de Chine des tee-shirts "Je kiffe Jésus". Interprétés avec conviction par Edwige Baily et Anne Sylvain, les rôles de la gamine infernale et de Mamie Huguette apparaissent comme de simples satellites du duo majeur. "Serpents à sornettes" est une pièce moins réussie que "Dialogue d’un chien avec son maître sur la nécessité de mordre ses amis". Elle manque de rebondissements et ne glisse pas dans la satire, de la fragilité humaine. Cependant ces faiblesses ne l’empêchent pas de faire mouche. Comme l’observe son complice Philippe Sireuil, l’écriture de Piemme "témoigne du monde, pourtant pas réjouissant, sans morosité mélancolique."
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