"Perte d’un être cher en cinq lettres ?" La discussion, entraînée par la recherche de ce mot, révèle d’emblée le contraste entre les personnalités des deux femmes. Et, tout au long de cette curieuse soirée, nous verrons s’agrandir le fossé qui les sépare. Un point commun cependant : la désinvolture à l’égard du cadavre qu’elles veillent. La mort de cette belle-mère caractérielle, qui lui pourrissait la vie, délivre sa bru d’un poids et titille l’humour macabre de son "amie".
Cette Ardennaise, qui assume son accent et ses certitudes, impressionne par son bon sens, sa malice et sa lucidité. Quand elle oblige Simone à ouvrir les yeux, on croit parfois entendre Gisèle, la "vamp dominatrice". Mais cette robustesse cache une blessure inguérissable. La mort accidentelle de son enfant a brisé sa vie et provoque sa révolte contre un dieu indifférent aux malheurs des humains. On ne s’attend pas à ce que cette femme meurtrie se raccroche à des miettes d’héritage.
Les indices, que Simone, la Boraine, livre sur son existence de bourgeoise coincée, montrent qu’elle n’a pas trouvé le mode d’emploi de la vie. Elle en convient. L’a-t-elle réellement cherché ? Son mari se sert de ses voyages d’affaires pour négliger complètement sa famille. Elle en souffre beaucoup, mais excuse ce comportement égoïste, au nom de l’aisance matérielle. Pourtant, lorsqu’il est question d’héritage, elle ne semble pas du tout intéressée. Puisque son époux boycotte l’enterrement de sa mère, c’est elle qui DOIT organiser les funérailles. Elle respecte les conventions, mais avec mesquinerie. On la sent tiraillée entre sa volonté de sauver les apparences et le désir d’être elle-même. Elle regrette manifestement le paradis perdu de son enfance et le prince charmant de Blanche-Neige.
Prisonnières de leur solitude, les héroïnes trouvent dans cette veillée funèbre un exutoire. Elles s’amusent à transformer le "Je vous salue Marie" en unité de temps, elles vantent les mérites du "cercueil roulant", elles carburent à la liqueur de prune. Les remarques caustiques de Solange font généralement mouche, mais certaines plaisanteries, liées à la naïveté forcée de Simone, sont laborieuses. Alimentée par des papoteuses qui ont besoin de parler, sans avoir rien à dire, la conversation ronronne avec plus ou moins de drôlerie. Le coup de théâtre, qui l’interrompt, déclenche des réactions artificielles et la pièce se met à balbutier. Jacqueline Nicolas, par son punch, et Anne-Marie Cappeliez, par son jeu très maîtrisé, donnent de la couleur à cette peinture de moeurs, qui sent bon le terroir. Cependant, on est frustrés par les défaillances de la progression dramatique et la difficulté de partager les émotions de personnages plus pittoresques qu’attachants.