Déjà les papilles gustatives se réveillent. Car il s’agit, on s’en doute, de faire le tour des saveurs, parfums et épices, de tous ce que l’on peut se mettre sur et sous la langue. Il s’agit même de très belle langue, quand on en vient à cette merveilleuse interprétation de la Madeleine de Proust. Applaudissements nourris - si l’on peut dire - car la diction est belle, la voix s’est posée enfin avec douceur, plus l’ombre d’une hésitation, les poses pleines d’expectative gustative et littéraire font battre le cœur. « Mais, quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir. »
Le spectacle a de la tenue, du rythme et de l’inventivité. Les comédiens jouent une belle complicité et se font des surprises. On ouvre un tiroir et hop ! voilà des bribes de Tchekhov, deux tabliers rouges, du beurre de ferme, des luttes conjugales, et un soupçon de jalousie maladive. « C’est bon un peu de douceur » mélancolise la belle (Laurence Warin). Et de se mettre aux fourneaux pour créer une saveur inégalée ! Comment mieux mettre les gens dans d’excellentes dispositions ? Mmmh ! Elle sait qu’en faisant griller du cramique dans un appartement, on le vend dans l’heure !
Les deux compères, le professeur et sa maîtresse - journaliste mémère et tendre - se pourlèchent les babines devant des mangues citronnées sur lit de… basilic ? On ne vous en dira pas plus. Le spectacle a de quoi ébaudir presque jusqu’au bout entre bonne chère et plaisirs de la chair. Il balaie large, faisant feu de toute gastronomie.
Seul le chapitre « ripaille(s) » proprement dit nous a donné quelque indigestion. « Ripaille » sans ripaille aurait été fort bien comme cela, laissé à l’état brut ! Trop d’ingrédients nuit à l’omelette, même à celle de la mère Poulard ! On ne la reconnaît plus. Ainsi le titre « Les très joyeuses histoires de Mmmh... » nous aurait mieux convenu, mais, de gustibus non est disputandum ! Ce n’est pas que nous ne causions pas Pirlouit wallon, c’est que la série d’accessoires plutôt vulgaires et criards, fouets et entonnoirs, faisait un peu coup de poing dans le décor d’une soirée qui voulait butiner les sensations et les souvenirs littéraires, de la framboise à la fine fleur d’oranger.