Lendemain de victoire. Les boîtes de nuit remplacent les champs de bataille. Empruntant le micro à la chanteuse de jazz, Richard nous confie son mépris pour ces plaisirs frivoles et sa détermination à se conduire en scélérat. Par la ruse et le meurtre, il fera sauter tous les obstacles, qui lui barrent la route du trône.. Ses insinuations et sa médisance provoquent une querelle entre ses frères aînés. Trompé, le roi Edouard IV fait assassiner George, duc de Clarence. Une place gagnée dans l’ordre de succession. Richard se lance ensuite un défi de taille : se marier avec Lady Ann, dont il a poignardé le mari et tué le beau-père. A l’issue de leur rencontre, qui se termine par un baiser, il éclate d’un rire sardonique. Lui, l’estropié, a séduit cette veuve ulcérée ! Quelques paroles emmiellées ont suffi. Il l’épousera et s’en débarrassera, dès qu’elle ne lui sera plus utile.
L’ascension se poursuit. Implacablement. L’usurpateur profite des rancoeurs ou de la lâcheté de ses ennemis et forme avec Buckingham un duo redoutable. Jouant le rôle d’attaché de presse, celui-ci amène le maire et les citoyens de Londres à supplier Richard d’accepter la couronne. Quels comédiens ! "Je veux le bâtard mort !" Cet ordre déstabilise Buckingham. Hésitation fatale. Le tyran rejette définitivement celui qu’il appelait "mon autre moi-même". Butant sur la résistance de son complice, "il est alors victime de sa propre faiblesse, de sa peur, de ses cauchemars." (I. Pousseur)
Guy Pion mène le jeu avec une autorité impressionnante. Le bras entravé, il n’apparaît pas comme un complexé revanchard, mais comme un manipulateur hypocrite et cynique, qui s’enivre de ses succès. Sans pitié pour lui, il ne s’étonne pas d’être détesté par tous. Cependant le spectacle ne tourne pas au one-man-show. Soutenue par une langue nerveuse (peu de poésie mais des répliques incisives et des discours brillants), toute la troupe vit âprement ces affrontements, qui nous font respirer l’odeur écoeurante de la cuisine politique. Mention spéciale à Simon Duprez, pour son incarnation subtile de Buckingham.
Ambiance de cabaret, musique de jazz, costumes d’hommes d’affaires, uniformes de gala ou de fonction, robes élégantes des années trente... Isabelle Pousseur nous écarte de l’Angleterre du XVe siècle. Sa mise en scène sobre et intelligente privilégie la trajectoire d’un homme terrassé par la REALITE, qu’il prétendait maîtriser. Pas de sang ! Des cagoules noires suggèrent les exécutions. L’apparition surprenante de la tête de Lord Hastings sur un plateau suscite des rires nerveux. Humour que l’on retrouve dans la dispute entre les deux assassins de Clarence. La scénographie de Sophie Carlier est efficace. Un podium encerclé de rideaux mobiles permet aux nombreuses séquences de s’enchaîner souplement. Ces immenses voiles offrent à Laurent Kaye un support idéal pour des jeux de lumière évocateurs. Plusieurs scènes stimulent notre imagination : Richard harcelé par les spectres de ses victimes ; le parallèle entre les deux chefs, à la veille de la bataille de Bosworth ; ce combat décisif chorégraphié par Filipa Silveira Cardos. Du texte très touffu de Shakespeare, la metteuse en scène a réussi à tirer un spectacle clair, accrocheur et passionnant.
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