Depuis plusieurs années, la vieille Madeleine s’accroche à son petit pavillon de la rue des Jonquilles. La ville projette de le raser, pour construire une cité horizontale, plus "conviviale" que les "barres". "AVEC VOUS" est son dernier recours. En participant à cette émission, elle espère que les votes des téléspectateurs influenceront les autorités communales. L’animateur de ce "reality show" paraît s’intéresser à sa détresse, savoure ses gaufres, mais se préoccupe surtout de l’impact de certaines déclarations ambiguës sur l’audimat. Adversaire des pseudo-humanisations des cités sensibles, un conseiller municipal lui offre une aide encore plus suspecte. Il se gargarise de formules creuses, de slogans contradictoires et pense que le combat de cette "Française de souche" peut doper sa campagne électorale.
Totalement isolée, privée de ses chattes, Madeleine devient une résistante farouche. Et quand un flic, plutôt conciliant, l’interroge sur un émeutier qui se serait réfugié dans son pavillon, après avoir incendié le commissariat, elle couvre par son silence Prince, un jeune beur qui, comme elle, se sent rejeté par la société. Ces exclus, révoltés par l’égoïsme généralisé, vont nouer des liens de plus en plus étroits. Dans des scènes symboliques, Madeleine prendra Prince pour sa fille et celui-ci lui lissera les cheveux, comme elle le faisait à sa grand-mère.
"Rue des Jonquilles" est un tremplin pour discuter de questions importantes : La défense légitime de nos intérêts entraîne-telle inévitablement un racisme ordinaire, nourri par des préjugés, que l’on n’ose pas avouer ? ou Comment gérer la cohabitation de générations, de cultures, de traditions et de perceptions du monde différentes ? René Bizac nous secoue, par le biais d’une histoire éclatée dans le temps et dans l’espace.
Grâce à une mise en scène efficace, les séquences s’enchaînent souplement. Cependant l’exposition est laborieuse et certaines scènes trop étirées. Dommage aussi que l’animateur de télé et le politicien opportuniste soient prisonniers de leur image conventionnelle. On fait moins vite le tour du policier pittoresque, campé par Christian Crahay. Fonctionnaire bordélique, il semble subir son boulot, puis surprend par sa ténacité et son souci des autres. Veuve d’un sergent "qui a fait l’Indochine", Madeleine reste à distance des immigrés, qui ont envahi le quartier. Pas question cependant de quitter la rue des Jonquilles ! Les idées fixes liées à l’âge, les échecs, les soutiens hypocrites n’entameront pas sa détermination. Comme le suggèrent des exercices de mémoire, dont on finira par comprendre le sens. Un rôle sur mesure pour Suzy Falk, qui l’endosse avec son esprit rebelle et toute sa vitalité. Salut l’artiste !