Air d’opéra poignant. Un homme, la cinquantaine, pénètre dans l’immense pièce d’une maison lépreuse, aux fenêtres opaques. Il circule un peu partout, en faisant crisser les feuilles mortes, qui recouvrent le sol. En les écartant à certains endroits, il fait apparaître des pierres tombales. Il lit les inscriptions. Puis couché sur un banc, il ferme les yeux. Une femme, qu’on avait entraperçue, le surprend. Heureuse rencontre. Ils se sont aimés puis séparés. Lui est marié, a un fils et est venu assister à l’enterrement de sa grand-mère. Elle est restée célibataire et est entrée là par hasard. Chamboulé par sa présence, il nourrit la conversation fébrilement. Elle s’étonne que les mots d’enfants soient tristes et se réjouit de la survie des vieilles maisons. Quand leurs habitants meurent, d’autres les font revivre. Des échanges toniques les rapprochent et libèrent leur désir. En quittant ce lieu funèbre, ils espèrent redonner vie à leur amour.
Jon Fosse se livre à un jeu de va-et-vient entre le passé et le présent : ses personnages flottent dans le temps. Mort, le héros a l’opportunité de rejouer les moments-clés de sa vie. Un cadeau empoisonné car cette ultime reprise est irréversible. Scène pénible : le père du héros attend l’enterrement de sa mère. Avec calme. Contrairement à son épouse dévorée d’inquiétude : elle a aperçu son fils en compagnie d’une femme inconnue. Lorsque celui-ci réapparaît, toujours avec cette femme, elle s’efforce de casser son image. Ses questions sournoises soulignent les qualités de son ex-épouse. Depuis leur divorce, cette belle-fille éduque remarquablement leur fils. Par son agacement et ses réponses évasives, il reconnaît sa culpabilité.
Cette démystification n’influence pas la femme reconquise. Plus que jamais elle a envie de lui faire l’amour. Mais le rêve d’automne tourne au cauchemar. C’est l’hiver de la mort qui s’installe. Son ex-femme révèle la grave maladie , qui met les jours de leur fils en danger. Son père disparaît. Avec l’énergie du désespoir, son amoureuse veut l’empêcher de sombrer. "L’amour et la mort, rien que l’amour et la mort", affirme-t-il, avant de se détacher de la vie. Il rejoint son père, alors que les trois femmes se tiennent par la main, pour poursuivre leur existence.
En imaginant une maison-cimetière, les scénographes Thibaut De Coster et Charly Kleinermann confrontent aussi vie et mort. Des personnages se séduisent, d’autres se querellent dans ce lieu délabré, voué au silence. Bravo aux comédiens pour avoir dompté ce texte embrumé par les répétions, les silences, les phrases morcelées. Leur maîtrise nous permet de digérer les distorsions du temps et de nous retrouver dans des personnages attachants. On croit au réveil amoureux de ce couple (Isabelle Defossé - Georges Lini) prêt à croquer dans la vie. Ils n’ont rien à craindre du père du héros (Claude Semal), qui tente de rassurer sa femme, avant de s’éclipser définitivement. Mais la belle aventure ne résistera pas aux remords suscités par une mère insidieuse (Cécile Van Snick) et au coup de grâce porté par la fragile ex-épouse (Barbara Sylvain). Traversée par des éclairs de passion, "Rêve d’automne" est une pièce émouvante. Elle nous sensibilise au temps qui passe et aux liens qui nous tiennent en vie.
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