Un couple on ne peut plus ordinaire : a beautiful house in a residential area, la voiture rouge, le crédit. Et puis tout d’un coup, il n’y a plus rien, sauf le chien. Les deux acteurs en scène voient progressivement leur faible capital s’envoler et les objets qui constituent leur vie disparaître de la table qui est devant eux. The beautiful house is lost, la chemise élégante qui va avec aussi. Les voilà subitement à moitié nus devant une mer de velours bleu, errant sur un rafiot de fortune, transposition poétique de leur état de détresse. Elle et lui, aux côtés du chien en plastique, poussent la chansonnette pour raconter leur histoire terrible accompagnés par un petit clavier au son métallique.
Ainsi, les deux acteurs, Agnès Limbo et Grégory Houben, usent de la musique, du rythme et des allées et venues des objets sur leur plateau miniature pour faire évoluer leur histoire. Ils présentent avec une implacable simplicité leur ruine et nous rions à gorge déployée de cette ironie. Un humour décalé et zinneke entre flegme british et auto-dérision à la belge rend le tout incisif tandis que les moyens utilisés demeurent économes. Et puisque tout va si mal, et qu’il n’y a même pas de whisky pour oublier – no money, no whisky, nothing ! – le bateau finit par s’échouer en Afrique.
L’anecdote tragique se transforme soudainement en une allégorie évocatrice. L’Afrique, terre de ressources, l’occasion ultime de refaire fortune ? Dans la nuit, passent les caravelles des grandes conquêtes... Elle et lui refont surface, se travestissent et se métamorphosent, ils entament un nouveau bout de leur vie et racontent avec elle un pan de l’Histoire.
La singularité du spectacle tient probablement de l’alchimie entre les acteurs, musiciens interprètes et manipulateurs d’objets. Ressacs est en ce sens dans la lignée des formes déjà expérimentées par le duo : un dialogue entre jeu et narration où les deux protagonistes jonglent d’un statut à l’autre, où les registres et les langues se mélangent dans un élan créatif. L’atmosphère crisse, craque, grinçouille, résonne A, E, I, O, U, fait pim, pam, « Darling ? », et nous emporte dans un ailleurs ludique et déjanté. Au travers du destin un peu absurde des deux zigotos nous voilà plongés dans la tragédie coloniale, dans la course éperdue au pouvoir et à l’avoir. Bien envoyé.
Blanche Tirtiaux
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