Quand il arrive sur scène, il scrute attentivement le public. Une lueur d’inquiétude semble poindre dans son regard. Il retourne en coulisse et regagne la scène, une bouteille de rhum à la main. « Je suis des vôtres, clame-t-il en brandissant la bouteille. Je ne suis pas alcoolique mais je me force à boire pour m’intégrer ».
Il est vrai que depuis les attentats du 11 septembre 2001, les Arabes sont souvent victimes d’un amalgame et la bouteille d’alcool lui permet dès lors de ne pas être pris pour un terroriste. Depuis ces événements, les Arabes font peur, même si la réaction du public à sa tentative de savoir pourquoi les Arabes font peur, il en vient à conclure que « les Arabes font plus rire que peur ».
Roda a envie de susciter la confiance, « cette cause, c’est le combat de ma vie ». Et des causes qui le mobilisent, il en évoquera bien d’autres tant le monde actuel est source d’inégalités, de discriminations ou de comportements condamnables comme les ruptures amoureuses par SMS.
Né au Maroc de parents libanais, élevé d’abord en Guinée puis en Belgique (et italien quand il sort en boîte), Roda Fawaz sait de quoi il parle lorsqu’il aborde le sujet de la discrimination, notamment à l’entrée des boîtes de nuit. « S’habiller, se déplacer, c’était ma routine pendant quinze ans ». Alors, lorsqu’il voit un blanc belge se faire refouler à l’entrée d’une soirée privée, faute de CST (covid safe ticket), alors que lui-même y est admis, il est ému. « Je me souviens ce que cela fait d’être à l’extérieur quand les autres sont à l’intérieur ».
Les gens ont besoin de discriminer mais aussi d’être discriminés, cela leur donne une identité, cela donne envie de se rebeller parce que l’on fait partie d’une minorité. « Je ne ferai jamais partie d’une majorité, argumente-t-il, mais si je ne fais plus partie d’une minorité, qu’est-ce que je vais devenir ? ». Il appuiera ce propos en avouant qu’il se bat pour être rebelle et cette cause est le combat de sa vie...
Arrivé au théâtre un peu par hasard, Roda Fawaz a débuté dans le stand up avant de travailler avec des metteurs en scène sur des projets plus « structurés ». Il a déjà brûlé les planches, seul en scène et à l’écriture, avec « On the road A » mis en scène par Eric De Staercke (Meilleure Découverte au Prix de la Critique Théâtre en 2016), et « Dieu le père » (2020) mis en scène par Pietro Pizzuti. Pour « Rebelle sans cause », il retrouve Eric De Staercke à la mise en scène.
La question des identités multiples traverse chacune de ses créations et, comme si son pédigré d’une riche diversité ne suffisait pas à justifier cet intérêt, l’auteur et comédien multiplie les casquettes dans d’autres domaines comme le cinéma et les séries télévisées, en tant qu’acteur mais aussi réalisateur. « La salle des pas perdus », qu’il a réalisé avec Thibaut Wohlfahrt, sortira sur nos écrans en 2023.
Loin de s’identifier au personnage de James Dean dans le film éponyme (« Rebel without a cause », traduit pas « La Fureur de vivre », Nicholas Ray, 1955), Roda Fawaz manie l’humour sans prendre des pincettes mais toujours avec l’intelligence d’y mettre du sens. Rodé à l’improvisation - il a arpenté la patinoire de la Fédération belge d’improvisation amateur (FBIA) durant huit ans -, il rebondit sur les réactions du public et se permet des choses que son metteur en scène lui avait pourtant interdites. Il occupe la scène et rayonne, les yeux pétillant de plaisir, de bout en bout, ne laissant que peu de répit aux spectateurs qu’il emmène sans difficulté dans son délire. Un conseil : ne quittez pas la salle dès le début des applaudissements, vous manqueriez un morceau d’anthologie...
Didier Béclard
« Rebelle sans cause » de et avec Roda Fawaz, mise en scène de Eric De Staercke, jusqu’au 21 octobre aux Riches-Claires à Bruxelles, 02/548.25.80, lesrichesclaires.be.
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