Lancés des coulisses vers un bol, des morceaux de sucre ratent lamentablement leur cible. Fataliste, un homme d’une quarantaine d’années reconnaît calmement sa médiocrité. Râteaux, divorce ont pourri sa vie sentimentale et son existence professionnelle est hypothéquée par son allergie au travail manuel comme aux nouvelles technologies. Sa vie est un fiasco. Ado, il a même loupé sa première étoile de ski. Une femme inquiétante l’importune et prend plaisir à écraser les sucres. Une autre, pleine de vitalité, traverse régulièrement la scène, en évoquant ses trois fausses couches ainsi que son incapacité à devenir une bonne mère et à réussir ses gaufres. La démarche pesante, un homme vieillissant exprime son mal de vivre, en chantant avec conviction "Mon vieux" (Daniel Guichard), "Le Chanteur" (Daniel Balavoine) et "Avec le temps" (Léo ferré). Ces personnages insolites, qui se qualifient de "gentil, chiante, aigrie, transparent", nous plongent dans une tristesse burlesque.
Mais lorsqu’ils baissent le masque, on considère d’un autre oeil, ces acteurs qui gardent leur vrai nom et se retournent sur leurs souvenirs. Par une anecdote et une interpellation des spectateurs, Pierre Sartenaer confirme qu’il est un comédien resté dans l’ombre. Très lucide, Marie Lecomte, comédienne, 40 ans, se sent menacée par sa date de péremption et envisage une reconversion. Pourquoi pas dans la couture ? Le spectacle se nourrit d’expériences personnelles, tout en laissant parler l’imaginaire. Certaines séquences douces-amères font sauter le vernis des rapports amicaux. On comprend la déception de Marie Lecomte devant le cadeau de ses copains, inconscients de leur lourdeur. Eno Krojanker se montre tout aussi maladroit avec Pierre Sartenaer, lorsqu’il force son enthousiasme devant sa "douche plate avec une poignée et un sol antidérapant".
Les tranches de vie émouvantes se mêlent à des scènes plus symboliques. Parfois trempées dans une ambiance cauchemardesque, par des bruitages angoissants. Décor de base : un haut mur de briques. En voyant le papier peint se décoller, on flaire une catastrophe. Mal dans sa peau, Marie Henry est une misanthrope, qui crache son mépris pour les réussites stéréotypées. Une danse suggestive lui donne des allures de "Grande faucheuse". Ces losers étalent sans complexe leurs revers, mais ne capitulent pas. Eno se bat comme un beau diable pour conquérir son étoile de ski. Pierre se glisse dans la peau de Cyrano pour quitter la vie avec panache. Et le quatuor danse avec ardeur sur "Le Paradis blanc" de Michel Berger :
"Toujours vouloir tout essayer
Et recommencer là où le monde a commencé."
Malgré l’une ou l’autre séquence brouillonne ou trop étirée, comme le jeu d’identification d’une vedette de la téléréalité, "Rater mieux, rater encore" ne cesse de nous surprendre. Quatre excellents comédiens nous entraînent dans ce spectacle éclaté, où s’entremêlent absurde, émotion et humour noir, avec beaucoup de naturel. Le spectateur sent qu’ils ont participé à son élaboration. Pas de leçons ni de solutions, mais une invitation à relativiser l’échec. Les maladresses de ces clowns tristes nous font rire et nous touchent, car elles reflètent nos faiblesses. Ce spectacle peut nous aider à nous libérer de la pression sociale et à refuser la dictature de la réussite.
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