"On fait aller", "Y a pas d’avance à se plaindre", ces phrases défaitistes, déclenchées par l’inévitable "Ça va ?", horripilent Jean-Luc Piraux. Il préfère se soigner à l’humour noir. Obsédé par des faits divers morbides, il tourne en ridicule une noyade surréaliste. Il nous fait hurler de rire, en imaginant l’utilisation d’un mix-soupe ou d’une tondeuse à gazon, pour se suicider. Cependant, quand il se hisse sur une chaise branlante, qui n’a plus que trois pieds, on sent la précarité de son équilibre. Il doit lutter contre l’attrait du vide et résister au retour du stress et des insomnies. C’est un homme sonné, qui n’aime pas que son metteur en scène "méridional" le bouscule. Son changement de costume est laborieux. Il a besoin de prendre son temps.
Plusieurs fois, Piraux caricature le citoyen insensible qui râle contre les dépenses de la sécurité sociale. Trop de malades se plaignent d’épuisement professionnel, alors qu’ils ont un poil dans la main. C’est le cas des comédiens : ils ne travaillent pas, ils jouent ! Autre cible : les soignants qui imposent l’horaire sans la moindre souplesse. Ou qui ne sont pas fichus de respecter son nom. Par des bilans réguliers, la psychiatre à l’accent anglais éclaire Jean-Luc sur l’évolution de son burn-out. Sans vraiment le rassurer. Ce sont les autres malades qui lui redonnent le goût de vivre. A l’hôpital, on laisse tomber le masque imposé par la société et on parle de l’essentiel. Prendre dans ses bras cette jeune fille qui a tenté de se suicider fait ressentir le besoin de tendresse et d’amour.
L’humoriste encaisse mal l’éclatement de son couple. Il maquille sa tristesse par une pirouette : "Quand on s’est demandé si on s’aimerait toujours, on aurait dû dire : toujours mais pas tous les jours." L’amertume de cet échec ne l’empêche pas de rêver. Peut-être qu’un jour il dormira à nouveau en cuillère avec sa moitié. Habillé en femme, il prend malicieusement le pouls du public sur les problèmes de couple. Résultat : des sourires parfois gênés et un énorme éclat de rire, lorsqu’il s’appuie sur les tentacules d’un mollusque, pour aborder les difficultés d’érection.
Jean-Luc Piraux se montre plus frêle, moins percutant que dans "Faut y aller" ou "Six pieds sur terre". Il aime descendre dans la salle, pour établir une relation plus fraternelle avec les spectateurs. Cependant sa terrible dépression n’a pas étouffé son désir de mordre dans la vie. Comme Rossinante, il veut trotter, galoper, danser et nous offrir un spectacle tonique, truffé de gestes extravagants et d’initiatives surprenantes. En bondissant dans la salle, pour embrasser qui le veut, il nous amuse par son impétuosité, mais nous confirme aussi l’importance de l’ouverture aux autres. Ce clown tendre est un humaniste convaincant.
Photo : Karl Autrique