Derrière sa table, le comédien tapote ses feuilles, comme s’il allait entamer une conférence. Puis les négligeant, il nous confie d’une voix posée, ses craintes de médecin sans expérience. La réputation de son prédécesseur l’impressionne. Ce bourreau de travail (50 consultations par jour !) avait doté l’hôpital d’une bibliothèque regorgeant d’ouvrages récents, d’une pharmacie parfaitement tenue et d’appareils médicaux ultra-modernes. De quoi alimenter les complexes d’un débutant, qui s’efforce vainement de masquer sa jeunesse. Il a besoin de se rassurer : son "vade-mecum" ne le quittera plus et il ne prescrira que des remèdes anodins. Si les routes impraticables pouvaient décourager les malades ! Mais il resterait les cas graves...
Le premier qui se présente est quasi désespéré : une jeune fille a été happée par la machine qui broie le lin. En se tapant la tête contre le sol, son père conjure le médecin de la sauver. Malgré les réticences de son équipe, celui-ci, horrifié par ce corps en charpie et ce pouls presque imperceptible, tente une amputation. Maladroite mais réussie... Appuyée sur ses béquilles, la miraculée lui offre une serviette , brodée durant ses deux mois de convalescence. Un souvenir qui l’accompagnera longtemps. Réveillé en pleine nuit, pour un accouchement difficile, il est saisi de panique. Heureusement la sage-femme lui suggère le début de la marche à suivre. Cependant, paralysé par cette "présentation transversale", il cherche la solution dans ses livres. En vain. Finalement il s’en sort et réalise que la théorie est éclairée par la pratique. Et vice versa. Il se rend compte aussi que l’équipe, dont il a su gagner l’estime, lui donne confiance en lui.
D’autres épisodes plus malicieux comme "la dent arrachée trop brutalement" ou "l’oeil disparu" aèrent le spectacle. Maîtrisant remarquablement l’autodérision et la rigueur scientifique, qui se mêlent dans ces témoignages, Dominique Rongvaux nous tient constamment en haleine. Un savant équilibre entre des commentaires ironiques et des descriptions poignantes. Son jeu épuré donne une grande intensité aux séquences où le médecin a l’impression que sa détermination est inspirée par une force supérieure, "comme si quelqu’un d’autre parlait à ma place." Alexandre von Sivers a aidé l’interprète de ces récits à mettre en valeur, par le phrasé et le rythme, les virtualités du texte, en boycottant "tout artifice de mise en scène qui aurait encrassé son impact."
Au terme de cette année, jalonnée par de nombreuses réussites et quelques échecs, Mikhaïl Boulgakov s’est vu qualifié de "travailleur énergique et infatigable". C’est aussi un homme qui croit à la valeur de l’individu, à sa capacité de prendre ses responsabilités et à la nécessité d’étudier humblement. L’écrivain et le médecin ont la mission de lutter contre les ténèbres et l’igorance.
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