Le texte de Laurent Plumhans est riche, complexe, intelligent, limite philosophique. S’y mêlent des notions d’économie, de politique, de finance, mais également une grande morale. Avec son rythme séquencé, il déconstruit l’habitude d’une histoire avec début-milieu-fin, avec "quelque chose qui se passe". Non qu’il ne se passe rien, bien au contraire : sur le plateau, mille et un événements souvent sans lien apparent s’enchaînent, ponctué de-ci de-là d’interventions distanciées des comédiens, de poésie en langage scientifique et de séquences documentaires clin d’œil.
La mise en scène impose un rythme très étrange, appuyant fortement sur le séquençage, la destructuration du temps. Les scènes sont entrecoupées de noirs, même au sein d’une même séquence, dans lequel les comédiens se déplacent dans le plus grand silence. Résultat : au retour de la lumière, surprise et léger malaise. Le peu de mouvement, de déplacement énergique des comédiens donne une angoissante impression de poids, de paralysie, alors que l’utilisation de micros permet aux comédiens un jeu très intime. Jeu dans lequel le public plonge facilement grâce également à la grande sobriété de la scénographie.
Sur scène : rien. L’espace naît d’une lumière lointaine, nette et précise, parfois à l’excès vu le manque d’éclairage de certains passages qui laissait un comédien dans le noir. Dommage. Mais la lumière participe également au message, avec cet éclairage de proximité fait aux néons, lumière froide par excellence. Le peu de mobilier sert surtout d’illustration à un propos ou d’appui de jeu. Toujours dans l’utile, jamais dans le décoratif.
Le décors ici, c’est la musique. Nappes sonores, leitmotiv contrastant, le tout en sonorités étranges (instruments électroniques et piano à l’accord étrange). Les "mélodies", si le mot est juste, sont les meilleurs soutiens à l’émotion, à la sensation d’une montée en tension tout au long de la pièce.
En effet, les comédiens soutiennent le texte à merveille, et cela ne leur permet jamais vraiment d’être très émotifs. L’écriture ne s’y prête guère. Difficile pour le public donc d’être en empathie avec eux, tant il est maintenu dans la compréhension intellectuelle. Cela donne souvent des personnages un peu schizophrène, un peu hystérique qui ne font que nous parler, sans jamais nous émouvoir. Mais le jeu est lisible, les interventions en distanciation impliquent le public, le texte fait écho, fait résonner ses questions dans la salle, les comédiens vous invitent littéralement à penser avec eux.
Le tout ensemble fait un spectacle fortement engagé mais très décousu, pas toujours distrayant, assez difficile à suivre mais qui ne peut nous laisser indifférent. En effet, les réflexions sont profondes et nous concernent : dans les crises financières, quelle est notre part de responsabilité ? Quel système avons-nous mis en place, à quelles dérives avons-nous permis d’advenir pour que ces cahots financiers impliquent une modification de notre sociabilité, de notre morale ? Quand avons-nous permis qu’on licencie quelqu’un dont l’éthique fait qu’il rapporte moins tout en respectant plus l’Autre : le client, l’acheteur, le pigeon ? Quand le permettons-nous encore ? Et pour Laurent Pluhmans, la réponse est dialectique : "Qu’avons-nous à perdre, qu’avons-nous à gagner ? Unique question semble-t-il dans le maintien d’un équilibre précaire". Cette dichotomie pertes/profits, installée jusque dans nos relations nous confine à la superficialité. Et comme avec tout confinement, la tension monte, l’étouffement guette.
Et si finalement, l’arbre des subprimes cachait toute une forêt en crise ? La réponse se cache peut-être dans cette émouvante dernière scène...
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